Un homme d'affaire qui est sur un fil suspendu au-dessus d'une ville, comme un funambule.
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Le budget fédéral de 2019 est venu offrir aux clients une nouvelle option qui permettra de gérer leur risque de longévité, soit l’un des plus importants risques qu’un client peut affronter à sa retraite.

Il s’agit de la rente viagère différée à un âge avancé (RVDAA), aussi connue en anglais sous l’accronyme ALDA, soit Advanced Life Deferred Annuity.

Le budget propose l’application de ce nouvel instrument financier à compter de 2020. L’industrie avait jusqu’au 7 octobre 2019 pour commenter le projet de mesures législatives déposé le 30 juillet 2019. En raison de la période électorale de l’automne 2019, on s’attend à ce que l’entrée en vigueur de la RVDAA soit reportée de quelques mois.

Brièvement, voici les principales caractéristiques de la RVDAA.

Elle permet de mettre jusqu’à 25 % de son épargne enregistrée dans un produit de rente viagère dont le début des versements peut être différé aussi loin que le 31 décembre de l’année où l’on atteint 85 ans. Indirectement, on réduit les retraits minimums obligatoires d’un FERR. Les montants proviendront du REER, d’un FERR, d’un RPDB, d’un RPAC (RVER) ou d’un RPA à cotisation déterminée.

Un «plafond RVDAA» de 150 000 $ est établi pour limiter les sommes transférées à la RVDAA. Ce seuil sera indexé selon la croissance de l’inflation, arrondi au plus proche multiple de 10 000 $.

La RVDAA aura l’option de comprendre des prestations de décès pour avant et/ou après le début du versement des prestations. Or, ce genre de protection nous éloigne de l’objectif d’une pure mutualisation du risque de longévité. La prestation de décès ne peut toutefois pas dépasser le montant transféré moins les rentes reçues.

Toutes sortes de règles administratives nécessaires pour arrimer cet outil sur le plan fiscal, notamment un impôt de 1 % pour chaque mois où il y a un «excédent cumulatif», dans les cas de surcotisation. On notera que l’excédent de transfert au titre de la RVDAA se calcule par régime cédant, et non pour la valeur cumulative des différents régimes enregistrés admissibles. En clair, pour éviter d’avoir un excédent et donc un impôt pénalisant, on devra s’assurer d’allouer à une RVDAA un maximum de 25 % de la valeur d’un compte REER d’un client et de 25 % de la valeur de son régime de retraite à cotisation déterminée.

Sans faire de longues recherches, on parlait déjà de l’acronyme ALDA en 2004 dans un article de Moshe Milevsky. En 2013, Alban D’Amours proposait un principe similaire avec l’idée de la rente de longévité à 75 ans.

En septembre 2019, l’Institut C.D. Howe reprenait ce thème avec l’étude Making the Money Last : The Case for Offering Pure Longevity Insurance to Retiring Canadians. On y mentionne qu’aux États-Unis, le concept de Qualifying longevity annuity contract (QLAC) a été introduit en 2014 pour les régimes enregistrés avec une limite de 25 % et un plafond de 125 000 $, haussé à 130 000 $ en 2018. Ce seuil demeurera fort probablement à ce niveau en 2020.

On constate rapidement la ressemblance entre les limites de la RVDAA et celles du QLAC. On reparlera de l’aspect mathématique sous-jacent à l’établissement du plafond de 25 %.

L’avantage de la mutualisation des risques

Le principal avantage qu’aura la RVDAA est d’aider à gérer le risque de survie des clients. Si un client a la chance de vivre à un âge très avancé, il veut pouvoir continuer à recevoir des revenus à vie et ainsi profiter de la mutualisation des risques.

Ici, le risque est de vivre trop vieux et, ultimement, de ne plus avoir d’argent pour financer les dernières années de sa vie. La mutualisation fait que les primes payées par les gens qui décèdent plus jeunes financeront la rente de ceux qui vivent très vieux. Ces derniers bénéficient de la mortalité des autres, gagnant ainsi ce qu’on peut désigner comme des «crédits de mortalité». C’est le même principe qu’en assurance habitation : seuls ceux dont la maison brûle «profiteront» des primes payées par ceux dont la demeure ne brûlera pas.

La mutualisation des risques peut être financièrement intéressante pour les clients. Imaginons 100 retraités prudents de 60 ans ayant chacun 300 000 $ et voulant modérer leurs retraits pour s’assurer de ne jamais manquer de revenus de leur vivant. À un taux de 3 % de rendement, sans indexation, le retraité prudent visant un décès à 100 ans retirerait 12 600 $ annuellement. Pourtant, si en moyenne le décès a lieu à 90 ans, le retrait visé pourrait être de 14 900 $ en mutualisant ce risque si les frais demeurent faibles. L’écart de 18 % ici est non négligeable.

La rente viagère traditionnelle peut aider à gérer ce risque de longévité, mais il y a intrinsèquement le versement de charges administratives supplémentaires inutiles pour la période du début de la rente. De 60 à 75 ou 85 ans, les probabilités demeurent non négligeables d’être en vie. C’est à partir de 85 ans que les risques de mortalité se multiplient et que l’incertitude de vivre devient plus marquée. La mutualisation devient alors beaucoup plus pertinente pour la période dépassant les 85 ans, car c’est à partir de ce moment que ceux qui ont la chance de vivre vieux peuvent gagner davantage de «crédits de mortalité». Les courbes ci-dessous l’illustrent bien. Elles présentent le nombre de survivants à un âge donné de deux groupes de 100 000 hommes : un premier ayant 60 ans (ligne bleue et premier axe horizontal) et un second ayant 85 ans (ligne rouge et deuxième axe horizontal).

Client cible

Le client pour lequel la RVDAA sera pertinente a d’abord suffisamment d’épargne pour se permettre d’utiliser un outil déjà disponible pour gérer le risque de longévité, soit de repousser à 70 ans le moment du versement des prestations du Régime de rentes du Québec (RRQ) et de la Pension de la sécurité de la vieillesse (PSV). L’avantage ici est de pouvoir profiter de rentes supérieures pleinement indexées sans avoir à payer le coût d’un intermédiaire de marché. L’analyse actuarielle du RRQ indique, dans ses tests de sensibilité, que différer la rente augmente les coûts du régime.

Les gens ayant peu d’épargne ne peuvent malheureusement pas compter sur leurs économies pour financer leurs dépenses de 60 à 70 ans dans l’attente de recevoir des prestations bonifiées du RRQ et de la PSV. Ils sont donc peu sujets à vouloir profiter de la RVDAA.

On peut possiblement aussi écarter les retraités en mauvaise santé pour qui il serait mal indiqué de souscrire une rente, car leurs primes profiteraient aux gens ayant une plus longue espérance de vie. Excluons également les participants bénéficiant d’un régime de retraite à prestations déterminées ayant plusieurs années de service, pour qui ce risque est déjà atténué, considérant la rente viagère qu’ils reçoivent déjà. Finalement, les gens pour lesquels une projection de retraite prudente n’indique aucun risque d’épuisement de capital, pensons notamment aux clients fortunés.

Un retraité souhaitant utiliser la RVDAA strictement pour reporter les retraits minimums du FERR à compter de 72 ans fait possiblement fausse route, à mon avis. Les attentes de tarifications très prudentes par les assureurs qui craindront d’assumer le risque que les avancées médicales prolongent fortement l’espérance de vie pourraient s’avérer non rentables financièrement.

Ainsi, pour les clients cibles, le risque de longévité peut être abordé de quatre façons (ou combinaisons dans le temps) :

1. Gérer eux-mêmes leur actif en l’étalant sur une période très allongée, comme 95-100 ans.

2. Gérer eux-mêmes les retraits du REER pour s’assurer d’un solde minimal consacré à l’achat d’une rente viagère à 85 ans. Dans ce scénario, le client garde le contrôle de son actif, mais se prive toutefois des crédits de mortalité pour la période de 60 à 85 ans.

3. Acheter une rente viagère immédiate avec une partie de l’actif comme filet de sécurité.

4. Se procurer une RVDAA immédiatement, puis avec l’actif qu’il reste, le gérer eux-mêmes en l’étalant jusqu’à 85 ans. Ce scénario suppose que l’ensemble des revenus viagers seront suffisants pour couvrir le coût après 85 ans, sans nuire au coût de vie avant 85 ans.

Le planificateur financier devrait soupeser chacune des variables et valider les effets sur le patrimoine du vivant (prioritaire) et celui au décès (secondaire). La mutualisation permet d’échapper au risque des marchés financiers, ce qui assure une tranquillité d’esprit complémentaire à la recherche de sécurité de revenus viagers. Toutefois, toute chose ayant un prix, l’industrie nous dira si la pénétration des RVDAA sera importante.

L’aspect comportemental risque d’influencer beaucoup les décisions des clients. En effet, le consommateur a tendance à favoriser les montants actuels existants plutôt que les valeurs théoriques actualisées de versements futurs. Le statu quo souvent favorisé (ancrage) fait que les clients aiment bien garder le plein contrôle des sommes épargnées. Ces comportements viennent compliquer la vie des conseillers qui tentent de mettre en place une stratégie pour gérer la longévité.

Pertinence de la limite de 25 %

De plus, je me suis intéressé aux effets de la limite de 25 % de l’épargne enregistrée qu’un client pourrait utiliser pour acheter une RVDAA. Le seuil de 25 % est-il trop faible pour certains profils de clients ? La réponse simple est oui, mais ce n’est pas le cas de tous et voyons pourquoi.

Avec mon collègue actuaire Martin Bourassa, également de la Banque Nationale, nous avons fait quelques calculs afin de comprendre les effets de ce seuil de 25 %. Ces effets varient en fonction de l’âge du client, de son genre (homme ou femme), du rendement attendu de son portefeuille REER/FERR, de l’indexation de la rente… et de la tarification de la RVDAA. Pour nos projections, nous avons utilisé une tarification très prudente, donc plus coûteuse, de la RVDAA.

Mon premier constat général est que la limite de 25 % est peu contraignante lorsqu’un client souscrit à une RVDAA avant 70 ans. En clair, si un client est dans la soixantaine et qu’il souscrit une RVDAA qui lui verse ses premières prestations à 85 ans, il ne sera pas trop embêté par la limite de 25 %. Compte tenu que les prises de décision se font souvent lors de la retraite et lors de la conversion des REER l’année des 71 ans, on peut alors prétendre que le seuil est suffisant.

À l’opposé extrême, un client de 84 ans voudrait potentiellement que la majorité de ses actifs enregistrés puissent servir à l’achat d’une RVDAA et ce client trouverait drôlement contraignante la limite de 25 %.

Alors, à partir de quand un seuil de 25 % devient-il contraignant ? Selon nos calculs, le seuil de 25 % serait insuffisant possiblement pour les femmes de 72 ans ou plus visant une rente non indexée. Dans le cas d’une rente indexée, les femmes de 70 ans ou plus et les hommes ayant atteint 72 ans seraient touchés.

Encore une fois, la tarification des assureurs pour la RVDAA est un élément clé dans la prise de décision et aura un effet important sur nos projections pour les clients. Par exemple, si les assureurs adoptaient une tarification plus agressive, fruit d’un incitatif à s’emparer de parts de marché, celle-ci rendrait moins contraignant le seuil de 25 % pour davantage de clients.

Un dernier point concernant la limite de 150 000 $ pour cotiser à une RVDAA. Cette limite a peut-être comme origine le fait qu’une personne ayant plus de 600 000 $ en épargnes enregistrées est moins préoccupée par le risque d’épuisement. Ce constat reste discutable bien entendu.

En terminant, j’espère que l’industrie qui va concevoir la RVDAA s’éloignera des produits complexes multipliant les garanties secondaires du type des rentes variables. La simplicité et la clarté d’un produit sont souvent ce qui le rend plus facilement utilisable. Dans toute décision, la pleine compréhension est un préalable incontournable. La transparence concernant la rémunération liée au produit est également souhaitable pour éclairer le client sur les intérêts de chacun.

* A.S.A. Pl. fin., Directeur principal, Centre d’expertise, Banque Nationale Gestion privée 1859