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Or, ce n’est peut-être que la manifestation apparente d’un développement plus profond : l’accession croissante du conseil financier à un plein statut professionnel.

À la question suivante : «Quelle tendance réglementaire touchant le conseil financier risque d’avoir le plus grand impact sur le travail des conseillers dans les 10 prochaines années ?», les répondants ont mis l’accent sur trois éléments parmi les choix de réponse, qui ont tous à voir avec la transparence : transparence accrue en matière de rémunération ; transparence accrue en matière de frais des produits ; transparence accrue en matière de rendement et de performance des produits financiers. C’est seulement au quatrième rang qu’est signalé un autre développement : la déréglementation et la diminution du fardeau réglementaire.

Fardeau ambigu

Cette importance accordée au thème de la transparence n’implique cependant pas que les gens s’en trouvent heureux. Certes, certains répondants en soulignent des aspects positifs : «Parce que cela oblige le conseiller à mettre à jour sa valeur ajoutée, dit l’un d’eux, et à offrir un service supérieur au client, pour que celui-ci ait vraiment l’impression d’en avoir pour son argent. Un conseiller ne pourra plus simplement s’asseoir sur le revenu de sa clientèle, il devra maintenant justifier pourquoi un client le paie.»

Par contre, autant de répondants manifestent leur mécontentement. Par exemple, l’un commente : «Est-ce que le restaurateur explique à chaque client la raison du prix demandé en lui expliquant ses postes de dépenses et son ratio de rentabilité ?» Un autre souligne un problème très réel de la surabondance d’information, que confirme une récente recherche américaine : «Trop d’information publiée nuit à la compréhension du client et à son intérêt.»

Dans l’apparente surenchère de transparence, un répondant fait ressortir un problème découlant de l’encadrement réglementaire fragmenté dans l’industrie financière : les nouvelles obligations «ne s’appliquent pas de la même façon aux banques», dit-il.

Vers un statut professionnel

Les observateurs auxquels Finance et Investissement a parlé confirment tous l’importance de la tendance réglementaire vers une transparence accrue. Or, certains mettent l’accent sur un mouvement plus profond qui porte tous les autres. C’est le cas de Sylvain Perreault, chef de la conformité au Mouvement Desjardins, qui juge «qu’on chemine vers un statut nettement professionnel pour les conseillers».

Cette émergence d’un statut professionnel est un prérequis absolu, juge Harold Geller, associé chez MBC Law, à Ottawa. «Les conseillers sont des professionnels plus importants pour les consommateurs que ne le sont les avocats ou les comptables, dit-il. Pourquoi les exigences à leur endroit seraient-elles inférieures à celles qu’on impose aux autres professionnels ?»

Le cheminement vers un statut professionnel complet sert à mettre en perspective le fardeau réglementaire que beaucoup jugent excessif. «J’entends ça depuis le tout début dans les services financiers, et je ne vois pas à court terme une diminution de la paperasse», tempère Yvan Morin, chef de la conformité chez MICA Cabinets de services financiers.

Pour Sylvain Perreault, tel est le prix à payer pour une plus grande professionnalisation. «Est-ce plus lourd ? demande-t-il. Oui, mais ça vient avec les privilèges accrus dont vous bénéficiez. Quand un médecin me prescrit une pilule, je veux m’assurer qu’une foule de contrôles ont été effectués pour veiller à ce qu’elle ne me tue pas.»

Par contre, il y aura un mouvement compensatoire à l’accumulation de règles, prévoit le spécialiste de Desjardins, mouvement auquel une part des répondants au sondage assignent une priorité de rang 4. Le fardeau des règles va s’amenuiser, mais pas nécessairement le poids législatif, selon Sylvain Perreault : «On va appliquer des règles davantage par principe que de façon prescriptive», prévoit-il.

Ce sera en même temps l’occasion de procéder à un nettoyage réglementaire. Sylvain Perreault donne l’exemple d’une règle qui perdure et selon laquelle un cabinet doit maintenir en tout temps la présence de deux conseillers sur place : «Ça date d’une époque où il n’y avait pas de cellulaires, de textos et de courriels qui permettent maintenant de joindre les gens à peu près n’importe où en tout temps.»

Les indépendants à risque

La concurrence des banques et institutions financières ainsi que leur poids dans le marché pointent vers une transformation inéluctable de l’industrie, selon deux interlocuteurs. «On s’en va vers une élimination des petits entrepreneurs et des cabinets indépendants, prévoit Guy Duhaime, président du Groupe Financier Multi Courtage. On était 150 indépendants il y a 20 ans. Il n’en reste plus que 20.»

C’est une tendance majeure que décèle aussi Sylvain Perreault, d’autant plus que les portes d’accès à l’industrie se ferment de plus en plus et que des barrières au succès s’érigent de façon accrue, selon lui. «J’ai démarré une firme de courtage en 2001, le Groupe Jitney. Aujourd’hui, en 2020, je ne suis pas certain que je le ferais… ou que je pourrais le faire.»

Ce risque d’extinction des indépendants est une conséquence de plusieurs facteurs, font ressortir nos commentateurs. Parmi ceux-ci, notons le décloisonnement des institutions financières démarré dans les années 1990, le fait que la distribution de produits bancaires bénéficie d’un cadre réglementaire et d’exigences de divulgation différents de ceux des valeurs mobilières, et le fardeau réglementaire qui accroît les coûts des petits acteurs et fragilise leurs finances.

«Le fardeau des règles est de plus en plus lourd à soutenir pour les petits acteurs, affirme Guy Duhaime. Une grande société dispose d’un contentieux de dizaines d’avocats ; un petit cabinet doit engager l’expertise à la pièce. Si une lumière ne s’allume pas dans l’industrie, il ne restera plus de petits acteurs. On s’en va vers un corporatisme effréné des grandes sociétés. Et on sait que les oligopoles ne sont pas bons pour les consommateurs.»