Une image de la carte du monde en rouge, devant laquelle est inscrite coronavirus.
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Depuis que la pandémie a frappé le monde, on entend souvent que celle-ci va bouleverser notre société et notre économie. Le personnel de recherche et les chercheurs principaux de l’Institut Fraser (IF) ont réfléchi à ce que cette pandémie pourrait avoir comme impact. Leurs suggestions sont parfois étonnantes.

Une aversion pour la dette

En raison de la pandémie, nombre de citoyens ont perdu leurs revenus ou leur emploi. Cela aura pour effet d’en rendre plusieurs méfiants vis-à-vis de l’endettement, en particulier au Canada, estime Philip Cross, ancien analyste économique en chef à Statistique Canada, chargé de recherche à l’IF.

Le Canada est entré dans la crise avec une dette des ménages et des entreprises parmi les plus élevées du G20. Malgré les taux d’intérêt bas, les particuliers comme certaines entreprises peinent à rembourser les dettes qu’ils ont contractées.

Selon cet expert, cette situation aura un impact négatif sur la reprise économique du pays.

Une méfiance à l’égard des modèles

Au début de la pandémie, certains scientifiques ont modélisé des scénarios apocalyptiques qui ont été largement publiés. On peut ainsi penser à l’étude de l’épidémiologiste Neil Ferguson et de son équipe de l’Imperial College, qui a fait l’objet d’une large diffusion et qui estimait les pires scénarios à 2,2 millions de décès aux États-Unis et 510 000 décès au Royaume-Uni dus à la COVID-19.

Plusieurs mois plus tard, même si le nombre de morts est élevé, nous sommes loin de ces chiffres pour le moins alarmants. Les États-Unis comptent ainsi un peu plus de 100 000 morts et ce chiffre tourne autour des 40 000 au Royaume-Uni.

Niels Veldhuis, président de l’IF, estime que cela influencera les modélisateurs environnementaux qui ont souvent tendance, selon lui, à surestimer l’impact des émissions de CO2.

Selon lui, après la pandémie, le grand public et les médias feront preuve de plus de scepticisme à l’égard des modèles.

Plus d’État et moins de liberté

Jason Clemens, vice-président exécutif de l’IF estime que l’État pourrait accabler davantage les citoyens. Il pense ainsi possible que celui-ci tente d’augmenter l’impôt sur le revenu et sur les plus-values et d’imposer un nouvel impôt sur les successions ou même un nouvel impôt général sur la fortune, qui entraveront tous l’esprit d’entreprise, l’investissement, le développement des entreprises, la création d’emplois et la prospérité économique.

Il nuance cela en notant que la crise a permis de mettre en valeur le bénévolat. De nombreux Canadiens sont venus en aide à ceux qui en avaient le plus besoin. Il pense que cette tendance va rester et que l’on pourrait voir davantage d’exploitation des impulsions caritatives des Canadiens, ce qui selon lui, enrichira nos communautés.

Bruce Pardy, de l’Université de Queen’s, chercheur principal à IF, fait preuve de moins d’optimisme. Selon lui, en se tournant vers le gouvernement pour avoir davantage de protection, les Canadiens ont laissé les hommes politiques endosser un pouvoir sans précédent. Ceux-ci ont ainsi pu suspendre les libertés civiles avec l’accord de leurs citoyens. Il estime que l’État ne voudra pas perdre ce pouvoir. Certes, les contrôles se relâcheront, mais les anciennes attentes ont été balayées.

« Dans cette nouvelle ère, nous découvrirons que les dirigeants de toutes tendances politiques ont plus qu’un petit Lénine en eux », conclut-il.

Mondialisation et ordre mondial

La pandémie aura un impact néfaste sur la mondialisation, affirme Tegan Hill, économiste à l’IF. Selon elle, le commerce international diminuera et le protectionnisme – qui consiste à créer des obstacles au commerce international pour promouvoir les industries nationales – augmentera. Les pays tenteront d’internaliser davantage les chaînes d’approvisionnement pour limiter les risques si une situation similaire arrivait.

L’Organisation mondiale du commerce estime que le commerce mondial diminuera de 13 à 32 % cette année. Et l’OCDE estime que les investissements étrangers directs diminueront de 30 % au minimum.

Selon elle, ce recul de la mondialisation va aggraver la situation actuelle : les prix vont augmenter, l’innovation va ralentir et la reprise économique sera tiède.

La COVID-19 transformera l’ordre international, selon Livio Di Matteo, de l’Université Lakehead, chercheur principal à l’IF. Selon lui, il est maintenant impossible que la Chine devienne un leader mondial en raison de son retard à alerter le monde sur l’épidémie tout en continuant à parcourir le monde. Ce n’est ainsi pas ce qu’on attend d’un leader.

Le leadership mondial des États-Unis toucherait à sa fin, notamment en raison de la gestion chaotique de leur propre crise de santé publique. Selon lui, c’est au tour des Européens d’affirmer leur leadership et leur implication dans les affaires mondiales. Sauf qu’il y a fort à parier qu’ils ne seront pas une voix unie. Il pense donc qu’on peut s’attendre à un ordre mondial encore plus compétitif et multilatéral. 

Davantage de numérique et d’Internet

Selon Jake Fuss, économiste de l’IF, le commerce électronique deviendra la norme pour les entreprises qui veulent prospérer. Les Canadiens exigeront désormais davantage d’options en ligne pour les achats d’épicerie, les plats à emporter, l’alcool des restaurants et des bars, les produits électroniques, les meubles, etc. Les entreprises devront donc s’adapter en offrant des options de livraison plus rapide et en modernisant leur site Internet.

Jake Fuss s’attend également à ce que certains aient pris le pli du télétravail et qu’il y aura donc plus d’employés qui travailleront exclusivement de la maison, ce qui pourrait être compliqué pour instaurer une culture d’entreprise forte et d’entretenir des relations avec les employés.

Les employeurs devront toutefois s’adapter s’ils veulent attirer et retenir leurs employés.

Plus de réglementation des entreprises

Étant donné que certaines grandes entreprises jouent un rôle « systémiques », le gouvernement est obligé de les aider en cas de gros choc économique. L’expérience montre que les renflouements incitent les entreprises à s’endetter et à prendre des risques plus importants qu’elles ne le feraient en l’absence d’un renflouement, affirme Elmira Aliakbari, directrice associée des études sur les ressources naturelles de l’IF.

Toutefois, comme les bilans des gouvernements se détériorent, ceux-ci pourraient se tourner vers la micro-réglementation pour s’assurer que les entreprises seront moins dépendantes des renflouements publics à l’avenir.

Le recours le plus probable est celui des besoins en capitaux : plus de financement par actions au lieu de dettes. Les entreprises peuvent également être confrontées à des besoins de liquidités : elles doivent détenir davantage de liquidités ou d’autres actifs sûrs pour les périodes plus difficiles.