Un homme d'affaire à un bureau serrant la main d'un client, alors que la femme de celui-ci signe des papiers.
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Après plus de six ans de travail, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont finalement adopté leurs réformes axées sur le client en octobre 2019. Certains jugent les nouvelles règles équilibrées, alors que d’autres estiment que la montagne a accouché d’une souris.

L’histoire de ces changements débute en 2012, alors que les ACVM consultent quant à la possibilité d’imposer le devoir légal d’agir au mieux des intérêts du client. Cette discussion se recentre en 2016 sur un rehaussement des obligations des conseillers, courtiers et représentants envers les consommateurs. L’industrie se rebiffe toutefois, estimant la bouchée proposée bien trop grosse.

Nouvel essai en juin 2018, alors que les ACVM présentent pour la première fois leur projet réglementaire de réformes axées sur le client.

« Il se concentre sur le cœur de la relation avec l’investisseur, notamment les conflits d’intérêts, la convenance, la connaissance du client et celle du produit », résume Martin Picard, analyste à la réglementation à l’Autorité des marchés financiers (AMF).

Les ACVM accorderont plusieurs concessions à la suite de la présentation de ce projet, de sorte que la version finalement adoptée en 2019 diffère sensiblement de la première. Par exemple, elles ont complètement abandonné les restrictions aux ententes d’indication de clients. Une personne inscrite devra toutefois s’assurer que le professionnel auquel elle recommande un consommateur possède les qualifications et permis requis pour fournir ces services.

Question d’interprétation

Cependant, le plus gros changement concerne la gestion des conflits d’intérêts, et il réside en l’ajout d’un seul mot. En 2018, les ACVM évoquaient la possibilité d’exiger que tous les conflits d’intérêts soient identifiés et gérés au mieux des intérêts des clients. Les nouvelles règles prévoient plutôt que seuls ceux jugés « importants » soient révélés.

« Il ne s’agit plus de se contenter de divulguer les conflits d’intérêts, mais aussi d’instaurer des contrôles qui assurent qu’ils soient traités en plaçant les intérêts des clients au-dessus de ceux des conseillers, courtiers ou représentants », précise M. Picard.

L’industrie s’est réjouie de cette modification. « C’est bien de rehausser les exigences, mais traiter tous les conflits d’intérêts, même les plus mineurs, serait une tâche folle », prévient Me Maxime Gauthier, chef de la conformité pour Mérici Services financiers.

Mais qu’est-ce qu’un conflit d’intérêts « important » ? L’Autorité précise dans ses instructions générales que cela dépend des circonstances.

« Un conflit est important si l’on peut raisonnablement penser qu’il a une incidence sur les décisions du client ou les recommandations ou les décisions de la personne inscrite », ajoute M. Picard.

L’ambiguïté de ce terme pourrait donc compliquer l’application de la règle. « C’est toujours le cas quand on réglemente avec une approche par principe, plutôt qu’en édictant une règle très spécifique, poursuit Me Gauthier. L’application se fera au cas par cas et entraînera forcément des débats d’interprétation. »

Ce flou causera de l’incertitude pour les responsables de la conformité. « Ils devront se demander si leur interprétation est la même que celle de l’Autorité, car leurs mesures de contrôle seront basées sur cette interprétation, confirme Me Jonathan Halwagi, associé au cabinet Fasken. Ça ouvre la porte à un nouveau risque. »

Une convenance resserrée

Autre gros morceau de cette réforme : l’évaluation de la convenance. Si plusieurs options sont appropriées pour un client, l’inscrit doit faire passer l’intérêt de cette personne avant le sien, quitte à renoncer à une rémunération plus élevée ou à d’autres récompenses incitatives.

« Il ne s’agit plus seulement d’exiger qu’un produit convienne au client, nous avons introduit des éléments qui précisent en quoi il doit convenir », explique M. Picard.

On retrouve parmi ces facteurs l’information collectée sur le client, l’évaluation du produit, les conséquences sur la liquidité et la concentration du portefeuille et l’incidence réelle et potentielle des coûts sur les rendements.

Les ACVM y ajoutent la « prise en compte d’un ensemble raisonnable d’autres mesures ». Celles-ci dépendent des circonstances comme les titres et services offerts, le degré de compétence de la personne physique inscrite et la situation particulière du client. Les conseillers devront documenter leurs choix quant à ces différents éléments de convenance.

Les ACVM ont aussi augmenté les obligations quant à la connaissance du client et du produit. Le conseiller devra réviser l’information recueillie sur le consommateur au moins tous les trois ans, ou une fois par année dans le cas d’un compte géré. Un courtier sur le marché dispensé devra revoir ces renseignements dans les 12 mois précédant une opération ou une recommandation. Le tout s’accompagne d’une obligation renforcée de formation pour les représentants.

Quant à la connaissance du produit, elle se scinde en deux phases. La société doit s’assurer de bien analyser et comprendre les produits qu’elle offre, notamment leur structure, leur coût et leur niveau de risque. Le représentant doit lui aussi bien appréhender le produit afin de respecter son obligation de convenance.

« Les firmes et les conseillers sérieux le faisaient déjà, juge Me Gauthier. Cependant, ils devront désormais très bien documenter ces processus. Pour l’Autorité, si vous ne présentez pas de preuve, c’est comme si ça n’existait pas. »

Pause forcée

Autre modification non négligeable…

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