COVID-19 : force majeure ou non?

Par Me Harry Karavitis avec la collaboration d’Amélie Martin | 27 novembre 2020 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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Juge tenant un maillet et portant des gants de latex
Photo : AndreyPopov / iStock

La pandémie de COVID-19 entraîne des problèmes et des défis sans précédent pour les entreprises qui tentent d’exécuter leurs obligations contractuelles, notamment en raison des interruptions en matière de chaîne d’approvisionnement, de pénurie de main-d’œuvre, du confinement et des fermetures obligatoires ordonnées par le gouvernement. Or, certains articles du Code civil du Québec ainsi que différentes clauses contractuelles traitant de la force majeure pourraient offrir un soulagement aux parties affectées si une résolution à l’amiable devient impossible.

QU’EST-CE QU’UNE FORCE MAJEURE?

Le Code civil du Québec définit, à l’article 1470(2), la force majeure comme étant « un événement imprévisible et irrésistible; y est assimilée la cause étrangère qui présente ces mêmes caractères ».

Par contre, bien que le Code civil définisse la force majeure de cette manière, les parties liées par un contrat sont libres de conventionnellement définir ce que pourrait constituer une force majeure et peuvent aussi prévoir un mécanisme de traitement précis pour un tel évènement (comme une procédure de notification entre les parties, par exemple). Il est aussi commun que ces clauses contiennent un droit de résiliation qui peut être exercé dans certaines circonstances.

Ainsi, la notion de force majeure – qu’elle soit conventionnelle ou légale – est généralement soulevée par une partie pour justifier l’inexécution d’une obligation découlant d’un contrat de sorte à se déresponsabiliser du dommage que cette inexécution pourrait causer.

RÈGLES D’APPLICATION

Bien que les tribunaux respectent généralement la répartition des risques telle que stipulée par les parties en donnant effet aux termes d’une clause de force majeure, ils sont fréquemment appelés à appliquer les principes d’interprétation contractuelle à de telles clauses lorsque celles-ci font l’objet d’une dispute.

Lorsqu’une telle situation se produit, les tribunaux concluent souvent à une interprétation quelque peu restrictive ou étroite de sorte à limiter l’application de ce genre de clause. Il en est de même pour l’application du Code civil en pareille matière.

Ainsi, une partie voulant se prévaloir d’une exception d’inexécution se rapportant à la force majeure devra notamment réunir les preuves suivantes :

  • L’événement doit être suffisamment grave et inhabituel pour constituer un cas de force majeure ou y être assimilé. Par exemple, des circonstances normales ou même légèrement anormales, telles qu’une météo défavorable, de brefs retards dans une chaîne d’approvisionnement ou d’autres obstacles qui interrompent généralement le travail dans un milieu, ne suffiront pas.
  • L’événement doit rendre l’exécution du contrat impossible, extrêmement onéreuse ou autrement entravée au degré spécifié dans la clause ou dans la jurisprudence, selon le cas. En procédant à cette évaluation, les tribunaux examineront généralement si d’autres voies étaient disponibles pour remplir l’obligation en question. En effet, le fait que le contrat soit devenu non rentable à exécuter ne suffira pas.
  • L’événement ne doit pas résulter de l’acte, de la négligence, de l’omission ou du défaut de la partie qui l’invoque. Autrement dit, il doit s’agir d’un acte indépendant de la personne qui l’invoque et irrésistible par elle.

ÉVÉNEMENTS DÉCLENCHEURS

Bien qu’à première vue, il semble que la présente pandémie remplisse les critères légaux nécessaires pour être assimilée à une force majeure, il s’agit ici d’une question à laquelle seulement un tribunal peut répondre convenablement, et ce, suivant l’examen des faits particuliers applicables à une situation précise.

Parallèlement, le fait que les répercussions de la pandémie déclenchent ou non une clause de force majeure dépendra du libellé spécifique de la clause sous étude et en particulier de la liste des événements de force majeure qui y sont énumérés. Bien que de nombreuses clauses prévoient explicitement une pandémie ou une épidémie, d’autres formulations, comme « catastrophe naturelle », peuvent raisonnablement l’englober.

Selon le secteur d’activité sous étude, les clauses qui font référence à des modifications des lois et règlements applicables seront probablement de plus en plus pertinentes, et ce, au fur et à mesure que les différents paliers de gouvernements mettent en vigueur et appliquent leurs recommandations de fermetures d’entreprises et de distanciation sociale par des décrets ou autres mesures législatives.

AUTRES CONSIDÉRATIONS

La notion légale ou conventionnelle de la force majeure est très spécifique au contexte et doit être interprétée à la lumière des faits pertinents.

Voici donc quelques recommandations d’usage :

  • Lors de l’examen des contrats pour évaluer la disponibilité d’application d’une clause de force majeure, il est important de bien faire attention aux délais convenus pour les avis entre parties.
  • Dans la mesure du possible, les parties devraient tenter de négocier des solutions entre elles plutôt que de se tourner vers les tribunaux.
  • Tous les moyens d’atténuer les dommages résultant d’une incapacité à exécuter le contrat doivent être recherchés.
  • Les parties devraient examiner toute police d’assurance contre les pertes d’exploitation pour une éventuelle application aux pertes liées à la COVID-19.
  • Les parties devraient sérieusement envisager d’inclure des clauses de force majeure et un langage spécifique pour faire face aux événements pandémiques dans les futurs contrats.

Les cas de force majeure doivent être appréciés à la lumière d’une série de facteurs et seul un examen précis des faits permettra au tribunal d’interpréter adéquatement de telles clauses. Ainsi, les parties devraient sérieusement envisager d’inclure des clauses de force majeure et un langage spécifique pour faire face aux événements pandémiques dans les futurs contrats.

Me Harry Karavitis, avocat, avec la collaboration d’Amélie Martin, technicienne juridique chez Alepin Gauthier Avocats Inc.


Cette chronique contient de l’information juridique d’ordre général et ne devrait pas remplacer un conseil juridique auprès d’un avocat ou d’un notaire qui tiendra compte des particularités de la situation de vos clients.

Me Harry Karavitis avec la collaboration d’Amélie Martin