Homme âgé avec un document dans les mains, un homme plus jeune à côté lui dit quoi faire.
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Un conseiller est particulièrement bien placé pour reconnaître les situations d’abus ou de maltraitance financière. En raison de la confiance que le client lui porte, il peut également agir et aider les personnes en détresse à se sortir de ces situations, selon les avis émis lors du dernier panel du 14e Colloque de conformité du Conseil des fonds d’investissement du Québec (CFIQ).

Toutefois, rien dans la loi n’oblige un représentant à intervenir. Le signalement n’est pas obligatoire sauf dans certains cas extrêmes, a souligné Me Christine Morin, professeure titulaire à la Faculté de droit de l’Université Laval et notaire émérite.

Ainsi, depuis 2017, le signalement de telles situations visant les personnes en CHSLD ou les personnes déclarées inaptes par un tribunal est devenu obligatoire pour tous les employés, exception faite des avocats et des notaires. Cependant, ce n’est pas parce qu’il n’y a pas d’obligation qu’il ne faut rien faire.

De plus, les représentants ne sont pas isolés lorsqu’ils sont témoins de telles situations. Au contraire, plusieurs ressources sont à leur disposition.

L’Autorité des marchés financiers (AMF) est partenaire du Plan d’action gouvernemental pour contrer la maltraitance envers les personnes aînées et offre donc du soutien aux professionnels de la finance pour ce type de situation, a rappelé Me Cindy Côté, analyste, experte en réglementation à l’AMF.

L’organisme de réglementation a notamment publié un guide sur le sujet en 2019 pour mettre de l’avant les bonnes pratiques et aider à agir contre ce type de situations. L’AMF travaille également sur une formation nationale sur la prévention de la maltraitance et de la vulnérabilité. Celle-ci permettra de développer des stratégies pour repérer plus rapidement les situations de maltraitance et pour venir en aide aux clients, précise Me Cindy Côté.

Quelques dangers à écarter

Avant d’agir trop vite, il est important de prendre des précautions. Ainsi, considérant que le représentant est tenu au secret professionnel, il ne peut divulguer des informations personnelles sur le client. Afin de se prémunir dans les actions qu’il voudrait prendre, il est indiqué de tout documenter : ses observations, ses questions et réflexions, et évidemment, les interactions avec le client.

Un autre élément à considérer avec prudence est l’âgisme. Il est important de respecter les personnes âgées et leur droit à l’autodétermination. Il est tentant, lorsqu’un client est âgé et qu’il peine à comprendre les questions ou qu’il met du temps à répondre, de se tourner vers un membre de sa famille. Mais si le client est encore apte à prendre ses décisions, il a le droit de le faire. Faites preuve de patience.

Comme le conseillent les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM), adaptez vos pratiques aux besoins évolutifs du client et prenez en compte leurs facteurs de vulnérabilité (moins bonne vision, problème d’audition, etc.).

Lorsque votre clientèle est en situation de vulnérabilité, vous devez faire plus attention aux potentiels signes d’abus. « Ayez l’œil ouvert, notez les indices, discutez avec votre client, écoutez-le et croyez ce qu’il vous dit. C’est important de respecter le rythme du client tout en vérifiant la gravité de la maltraitance soupçonnée. Offrez-lui votre aide, parlez-lui des ressources disponibles qui peuvent l’aider. L’AMF peut orienter vers les organismes adéquats et, selon la situation, ceux-ci, avec l’autorisation du client, peuvent aller plus avant, de pair avec d’autres organismes », souligne Me Cindy Côté.

Prudence avec les mandataires

« La procuration est un outil utile ou dangereux », prévient Me Christine Morin. Ces outils légaux sont intéressants, mais ils sont souvent mal compris et peuvent donc se révéler dangereux pour les personnes en situation de vulnérabilité.

À l’Université Laval, ils ont interrogé un groupe de personnes âgées dans le cadre d’une étude et ont réalisé que beaucoup d’entre elles avaient signé des mandats de protection ou des procurations, mais que certains signataires ne comprenaient pas la portée de ces mandats.

Ainsi, le quart des personnes pensaient qu’une fois le mandat signé, elles ne pouvaient plus intervenir par rapport à leurs propres finances, ce qui est évidemment faux. Et 34 % d’entre elles ignoraient qu’elles pouvaient réformer ce type de procuration en tout temps, sans avoir l’accord du mandataire.

Les représentants doivent s’assurer que ces documents soient bien compris. Ne prenez jamais pour acquis que votre client, parce qu’il a signé une procuration, qu’il a pleinement compris ce que cela signifiait.

Notez bien que les mandataires sont ceux qui sont dans la meilleure position pour profiter de la vulnérabilité de votre client.

Marie-Emmanuèle Cardinal, vice-présidente adjointe – Plaintes-clients, Affaires juridiques, Marchés financiers et Gestion de patrimoine, Financière Banque Nationale, a présenté le cas d’un client bibliothécaire de 82 ans. Ce dernier était propriétaire d’un immeuble, possédait des actifs importants, et un de ses locataires a décidé de prendre avantage sur lui. Il l’a isolé du monde extérieur et a effectué des retraits importants en son nom.

La représentante s’est rapidement méfiée et a tenté de prendre contact avec son client, mais en a été empêchée par le mandataire. À noter que ce n’est pas parce que votre client a nommé un mandataire que vous ne pouvez plus vous adresser au client, souligne Marie-Emmanuèle Cardinal. Dans ce cas, toutefois, le mandataire s’assurait de ne jamais laisser le client seul et intervenait quand celui-ci ne disait pas ce qu’il voulait.

La représentante a finalement cherché du côté de la famille de son client et a découvert qu’il avait une sœur habitant la région de Québec. Elle l’a mise au courant, la famille a fait appel à un curateur pour empêcher le mandataire d’agir et la banque a bloqué les demandes de ce dernier. La situation s’est bien terminée, grâce à la vigilance de la représentante.

Désigner une personne de confiance

Le cas de ce bibliothécaire montre à quel point il est judicieux de désigner une personne de confiance. Si le client avait désigné sa sœur à l’avance, la représentante aurait pu agir plus rapidement.

« La personne de confiance est une alliée quand la situation se gâte. Il est donc important de choisir la bonne personne », soutient Me Cindy Côté.

La bonne personne est souvent désintéressée vis-à-vis des finances du client, donc pas le mandataire.

Dans le guide pratique de l’AMF pour protéger un client en situation de vulnérabilité, l’organisme de réglementation suggère quelques pratiques pour désigner une personne de confiance. On y explique également quand et comment communiquer avec elle et propose un modèle d’autorisation qu’un représentant peut utiliser avec son client.

À noter qu’il est important de s’assurer que la personne de confiance désignée soit informée régulièrement, car les relations évoluent.

Un client obtus

Il arrive aussi que le client ne souhaite pas être aidé. En tant que représentant, vous ne pouvez pas le forcer, mais il est important de ne pas abandonner. Il faut persister sans être trop insistant, le mieux étant d’être disponible pour votre client.

Il peut notamment être avisé d’avoir des conversations seul à seul avec lui. Plusieurs rencontres seront peut-être nécessaires, mais tentez de bien illustrer, à chaque occasion, les conséquences de ces abus sur leur situation financière.

« La sécurité financière est particulièrement importante pour les personnes âgées, donc ça vient les chercher, finalement », affirme Marie-Emmanuèle Cardinal.

Notez finalement que les personnes âgées ne sont pas les seules à devoir susciter votre attention. D’autres clients, issus de groupes d’âge ou de conditions différentes, pourraient également se trouver en situation de vulnérabilité. La vulnérabilité peut être permanente, mais elle peut aussi être temporaire ou sporadique. Pour reconnaitre ces situations, faites-vous confiance, vous connaissez vos clients!