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Green Economie

Le "Green Deal" européen doit compenser la hausse de la taxe carbone pour les ménages

INTERVIEW - L'économiste Christian Gollier, l'un des meilleurs spécialistes mondiaux du climat, juge le "Pacte Vert" européen cohérent et ambitieux avec une forte hausse attendue de la taxe carbone. Mais il met en garde sur l'effet "gilets jaunes": la compensation prévue pour les ménages est insuffisante, ce qui risque de susciter un rejet du projet. 

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La cimenterie HeidelbergCement, le 12 novembre 2019 à Fieni, au nord de Bucarest, en Roumanie

Les importations dans le secteur du ciment vont être soumis à une taxe carbone.  

AFP - Daniel MIHAILESCU

Christian Gollier, directeur général de l'Ecole d'Economie de Toulouse, fait partie des meilleurs spécialistes mondiaux de l’économie du climat. Il est l'un des auteurs des 4ème et 5ème rapports du Groupe d'experts intergouvernemental sur le changement climatique (GIEC, 2007 et 2013).  Et il a piloté le groupe qui a planché sur ce sujet dans la Commission Blanchard-Tirole sur les "grands défis économiques", qui a remis son rapport à Emmanuel Macron le 23 juin. Pour Challenges, il décrypte les principales mesures du "Green Deal" de la Commission Européenne, présenté mercredi.

Challenges: La Commission Européenne a détaillé mercredi les 12 mesures de son "Green Deal", présenté comme une révolution. Comment jugez-vous ce plan?

Christian Gollier: Il est globalement positif. L’Europe a fait un grand pas en avant pour rendre plus crédible sa lutte contre le réchauffement climatique. Ce projet est cohérent en utilisant l’outil le plus puissant pour réduire les émissions de CO2, le prix du carbone. Tous les économistes spécialistes du sujet le disent: c’est en faisant payer aux pollueurs le coût de leurs dégâts sur l’environnement que l’on pourra efficacement lutter contre le réchauffement climatique. Le moyen utilisé est le marché du carbone, où s’échangent des permis d’émission de CO2, qui va être considérablement élargi. Si le prix du carbone reste supérieur à 30 euros la tonne, cela va fortement inciter, par exemple, à sortir le charbon du mix électrique européen. Et dans un pays comme la Pologne, 80% de l’électricité est produite avec du charbon.  

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Des secteurs comme le transport vont être très affectés par cette hausse de la taxe carbone. Est-ce justifié?

Oui, absolument. Le transport, qui totalise entre un quart et un tiers des émissions, reste un trou noir. Malgré la mise en place de nouvelles normes, ses émissions de CO2 ont continué à augmenter ces 20 dernières années. Les Européens roulent toujours plus et dans de plus grosses voitures. Le seul moyen de les en dissuader est de leur imposer un prix du carbone, donc un prix du carburant, plus élevé.

En même temps, la Commission a interdit la vente des voitures à essence et diesel à partir de 2035. Est-ce une bonne mesure?   

Je ne suis pas favorable aux interdictions. On ne peut pas interdire aux constructeurs de produire des véhicules à moteur thermique sans rendre la production de véhicules électriques beaucoup plus compétitive. Un récent rapport de France Stratégie a montré que le coût de fabrication d’un véhicule électrique va rester supérieur, même dans les années 2025-2030. Cela nous ramène toujours au prix du carbone: s’il est suffisamment élevé, cela rendra le véhicule électrique compétitif.

Cette hausse de la taxe carbone va augmenter le prix payé par le consommateur. Après la révolte des "gilets jaunes", en France, comment rendre l’opération acceptable?

Il y a, en effet, un vrai problème d’acceptabilité politique. Il faut une compensation intégrale de la hausse des prix, notamment pour les ménages modestes avec la distribution de chèques, qui préservent le pouvoir d’achat. Le plan de la Commission prévoit que 25% des revenus de la vente de droits d'émission sur le marché du carbone seront consacrés à cette compensation, en laissant les Etats la mettre en oeuvre. Je pense que c’est insuffisant. Il faudrait utiliser 100% de ces ressources nouvelles pour atténuer l’impact pour les consommateurs.

La Commission prévoit une sorte de taxe carbone aux frontières. Jugez-vous ce projet efficace?

Il est cohérent. La Commission va soumettre les importations de certains secteurs (acier, ciment…) aux règles du marché du carbone, avec l’octroi de permis d’émission, comme pour les producteurs européens. Et, en même temps, elle va supprimer les permis d’émission gratuits, qui avaient été octroyés aux industriels européens les plus polluants, pour faire face à leurs concurrents étrangers non soumis aux mêmes règles. Elle a résisté au lobbying des industriels européens, qui voulaient conserver leurs avantages. Mais ce projet est trop lent. Il sera mis en place très progressivement, pas avant 2035. Reste à savoir comment les autres Etats vont réagir face à cette taxe carbone aux frontières. Je note que les Démocrates viennent de proposer un projet similaire aux Etats-Unis. Preuve que cette idée européenne va peut-être prospérer.

Propos recueillis par Thierry Fabre

 

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