Ce que l’humanité doit au génie des Autochtones d’Amérique

Le drame qui s’est joué ici n’est pas unique. Il est malheureusement semblable à ce qui s’est passé dans le reste des Amériques. Des historiens racontent que 200 ans après le passage de Christophe Colomb, le continent américain avait déjà perdu jusqu’à 95 % de sa population autochtone. Pour les survivants, les blessures sont nombreuses et profondes.

C’est une partie de cette tragédie qui fut exhumée à la découverte des cimetières près des pensionnats. Depuis quelques années, on montre du doigt le clergé comme principal responsable de la sordide histoire qui s’est déroulée dans ses institutions. C’est un verdict justifié, mais il manque tout de même un responsable majeur. Pour traquer les réels coupables, il faudrait sans doute chercher parmi les couloirs du palais de Buckingham. Mais qui oserait appeler la Couronne à la barre ?

Rappelons que, dans la plupart des cas, l’Église était le bras armé de l’idéologie suprémaciste de la famille royale. Je crois qu’après avoir demandé au clergé de reconnaître ses torts, Justin devrait aussi convier la reine d’Angleterre à venir s’excuser auprès de ces « enfants » qui ont vécu cette maltraitance transgénérationnelle.

Mais, en attendant la très hypothétique assignation à comparaître de la descendance de la reine Victoria, je préfère vous parler, comme je le disais d’entrée de jeu, de l’héritage inestimable que nous devons aux premiers peuples d’Amérique.

Petite parenthèse : saviez-vous que nous devons la grosse courge orange, la citrouille, aux Premières Nations ?

Ma grand-mère cultivait la citrouille, mangeait de la noix de kola, chiquait parfois du tabac et était aux anges quand on lui offrait du mafé bien pimenté. Le mafé est une recette à base de riz accompagnée d’une sauce au beurre d’arachide. Mais grand-maman ignorait la provenance de ces espèces végétales qui faisaient danser ses papilles ! Elle était convaincue que ces plantes poussaient en Afrique du temps de nos ancêtres les plus lointains. Si le kolatier est une plante originaire d’Afrique, ma grand-maman serait surprise d’apprendre que sa citrouille, son tabac, son piment et ses arachides étaient des gracieusetés des Autochtones du Nouveau Monde.

D’ailleurs si Boucar est devant un ordinateur à écrire sur cette Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, c’est en grande partie grâce au maigre revenu des récoltes d’arachides que ses parents analphabètes ont consacré à ses études pour lui offrir la chance de lire son avenir ailleurs que sur les « écales de pinottes » ! Disons que je dois aux Premières Nations une partie de mon éducation, mais peut-être aussi ma survie.

En effet, quand j’étais jeune, la chloroquine était le traitement de base contre le paludisme qui cause beaucoup de mortalité infantile en Afrique. Combien de fois ma mère nous a fait avaler ces comprimés amers pour baisser la température de nos corps transformés en four par le plasmodium, le microbe responsable du paludisme… Aujourd’hui, tous ces gens qui prennent cet alcaloïde et qui prônent, à tort ou à raison, son efficacité contre la COVID-19 oublient de mentionner que c’est une autre trouvaille des Autochtones d’Amérique.

Le quinquina, qui nous a donné ce principe actif, est une plante originaire du Pérou, de l’Équateur et de la Bolivie, et les Autochtones utilisaient son écorce pour diminuer la fièvre bien avant que l’industrie pharmaceutique s’y intéresse. De sa région d’origine, le quinquina sera planté par les Européens en Inde, en Indonésie, mais aussi en Afrique.

En cette journée consacrée à la vérité et à la réconciliation, qui d’ailleurs gagnerait à être célébrée sur tout le continent américain, s’il y a une certitude qu’il faut répéter aux jeunes générations, c’est aussi ce devoir de reconnaissance envers les civilisations précolombiennes. La liste des legs pour lesquels nous devons les remercier est longue.

Le coton, qui était au centre de la révolution industrielle, nous le devons aux Premières Nations d’Amérique. Le caoutchouc, qui est un autre produit clé de la révolution industrielle, est aussi une de leurs trouvailles.

Bien avant que les Européens ne « découvrent » l’Amérique, des Autochtones du Brésil se servaient du latex de cette plante, le caoutchouc, pour fabriquer des balles utilisées dans des compétitions sportives. Après la découverte de cette plante par les Portugais, le caoutchouc sera oublié jusqu’à ce que l’explorateur français Charles Marie de La Condamine le ramène du Brésil en 1736. À partir de ce moment, les propriétés du latex feront sensation, et comme toutes les plantes d’intérêt trouvées en Amérique, l’hévéa qui produit ce caoutchouc partira à la conquête de la planète.

Au XIXe siècle, le caoutchouc est devenu une matière première des plus convoitées par les puissances occidentales. Chaque nation voulait sa part dans la production de cette résine aux applications industrielles sans précédent. De ces découvertes qui ont hissé l’hévéa au rang de plante d’intérêt stratégique, il y a la mise au point du procédé de vulcanisation par le chimiste américain Charles Goodyear en 1840. Cette cuisson du caoutchouc mélangé à du soufre qui est encore utilisée aujourd’hui a été une étape majeure de la révolution qui fera rouler les voitures, les vélos, les motos et les avions (avant le décollage, bien sûr !)

L’humanité doit beaucoup aux peuples autochtones d’Amérique. Nous leur devons la domestication de plusieurs espèces qui nourrissent la planète. On peut citer ici l’arachide, le maïs, la tomate, la patate, les courges, le manioc, le cacaoyer, les piments, les avocats, les haricots, etc. Il suffit d’imaginer ce que serait notre monde d’aujourd’hui sans ces aliments pour réaliser à quel point, côté agriculture, l’Europe avait tout à apprendre des civilisations précolombiennes. Voilà aussi un devoir de reconnaissance qui mérite d’être mentionné en cette Journée nationale de la vérité et de la réconciliation.

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