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Une ex-complotiste revit depuis qu’elle en est sortie

Après avoir été entraînée pendant des années dans la spirale infernale de la désinformation, une ancienne adepte des théories du complot souhaite aider des conspirationnistes à se libérer de cette emprise.

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« Je dormais 3, 4, 5 heures par nuit seulement. J’étais tout le temps sur les réseaux sociaux. J’avais l’impression d’être dans une spirale où tout allait très vite, c’était étourdissant. J’étais sous l’adrénaline en tout temps, assez pour que je sois aujourd’hui en dépression, maintenant que j’ai tout lâché », raconte Odile Maltais, une femme de 49 ans sortie récemment du mouvement complotiste et qui vit à Saint-Edmond-des-Plaines au Saguenay - Lac-Saint-Jean.

Après avoir reçu une éducation très catholique, Odile Maltais se tourne vers la spiritualité à la suite de son divorce. Elle suit des ateliers et entend pour la première fois parler d’apocalypse, de cinquième dimension, mais aussi du contrôle de la population.

C’est surtout déménageant loin de chez elle et en arrivant à Montréal, que sa descente aux enfers s’est accélérée. Son cercle d’amis s’est rétréci et elle s’est retrouvée entourée de gens qui baignaient dans le milieu de la spiritualité et qui croyaient à toutes sortes de théories, soutient celle qui a finalement reçu ses deux doses de vaccin.

Elle se lie d’amitié avec une femme qui lui raconte avoir vu des « hommes en noir » qui lui ont dit de se préparer, que des extraterrestres étaient sur terre et qu’une « flotte intergalactique » viendra sauver les hommes en cas de chaos.

« À ce moment-là, j’avais envie d’y croire, mais en même temps j’étais sceptique. Alors je me suis mise à chercher et comme on trouve tout sur internet, alors je trouvais des réponses à mes questions et ça concordait avec ce que mon amie me disait », explique l’ancienne enseignante au secondaire en adaptation scolaire.

Malgré son scepticisme initial, ses propres recherches sur Internet concordent avec ce qu’avancent ces gens. 

Plongeon  

Et l’arrivée de la pandémie, qui la coupe un peu plus du monde, ne fait que la conforter dans ses idées. Elle commence à suivre des groupes Facebook qui véhiculent ce genre de faussetés.

Quelques mois plus tard, Odile Maltais participe finalement à ses premières manifestations. Cela lui permet d’élargir son cercle d’amis qui partagent ses idées. Elle s’éloigne de son frère et supprime plusieurs proches, qui n’adhérent pas aux mêmes idéologies.

Fin novembre, elle participe à la manifestation ratée devant la supposée maison de François Legault dans Westmount, à Montréal. La mère de deux enfants s’implique de plus en plus et organise même des manifestations. Avec des gens plus radicaux, elle était aussi prête à prendre le parlement, dit-elle.

Elle se lie aussi d’amitié avec un homme qui est particulièrement enfoncé dans les théories complotistes.

« Il pensait par exemple que François Legault avait été exécuté pendant ses vacances en juillet et remplacé par un clone. Il était persuadé que Trump allait tous nous sauver », affirme-t-elle.

Avec lui, elle s’en va distribuer des tracts dans deux postes de police de Rivière-du-Loup pour expliquer aux agents qu’ils sont complices du gouvernement.       

Évènement déclencheur  

Mais le 27 janvier, cet ami disparait sans plus ne jamais donner de nouvelles.

« [Les gens du groupe] disaient qu’il était allé se cacher, qu’il avait amassé trop de preuves et que Trump l’avait mis en sécurité. Et c’est là où j’ai commencé à ne plus y croire. Et puis chez nous c’est comme si personne ne faisait rien pour le retrouver, les gens se sont tournés vers d’autres “gourous” », explique-t-elle.

L’homme de 40 ans est toujours porté disparu à ce jour.

Odile Maltais commence à chercher des réponses à ses questions sur d’autres sites que ceux utilisés par les complotistes. Sur des pages Facebook « anti-conspirationnistes », elle comprend que certaines croyances ne faisaient pas de sens.

« Pourquoi par exemple les élites voudraient tuer tout le monde avec les vaccins ? Après les élites se retrouveraient seules sur terre avec les complotistes qui sont contre eux ? Ça ne marche pas », dit-elle en riant.

S’en sortir  

C’est d’ailleurs grâce à l’une de ces pages qu’elle apprend l’existence de l’organisme Info-Secte. En discutant avec un groupe et un intervenant, elle se voit des ressemblances avec ce qu’ont vécu des personnes dans des sectes.

Mme Maltais a aussi décidé de demander de l’aide au Centre de prévention contre la radicalisation pouvant mener à la violence. Avec eux, elle aimerait d’ailleurs pouvoir aider les familles et les amis de complotistes à mieux comprendre comment rejoindre leur proche et à les ramener vers la réalité.

« Je suis en train de voir avec eux pour voir comment je peux venir en aide à ces gens, mais aussi aux familles, parce qu’elles sont démunies et ne savent plus comment aider aussi », confie Mme Maltais.

Si vous ou l'un de vos proches avez besoin d'aide ou d'information:Info-secte 

-514-274-2333      

-Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence: Montréal : 514 687-7141 #116 - ailleurs au Québec : 1 877 687-7141 #116             

  

Confronter moins pour réduire les tensions  

Mike Kropveld, d'Info-secte

Photo courtoisie

Mike Kropveld, d'Info-secte

Il faut absolument éviter la confrontation sur les idées si l’on veut apaiser les tensions entre certaines parties de la population qui adhèrent aux théories du complot, alors qu’un fossé se creuse, prônent des experts.

« La pire chose qu’on peut faire en ce moment, c’est la confrontation. Ça nous conforte dans nos opinions, ça nous renforce encore plus dans nos croyances et nous retranche dans nos positions. On a tous un ego, donc on veut tous avoir raison », explique Odile Maltais, une ex-adepte des théories complotistes récemment repentie.

Sur les réseaux sociaux, les affrontements entre les complotistes et les « anticonspirationnistes » peuvent devenir particuliè-rement violents.

Pour Geneviève Beaulieu-Pelletier, psychologue clinicienne et professeure associée à l’UQAM, il faut comprendre que les gens adhèrent aux théories du complot parce que cela vient répondre aux besoins de la personne.

« Ça vient les rassurer, les calmer, même s’ils voient des informations contradictoires », explique-t-elle.

Solutions  

De son côté, Mike Kropveld, fondateur d’Info-Secte, indique qu’en essayant d’argumenter contre leurs idées et leurs croyances, les complotistes peuvent se sentir attaqués. 

Depuis quelque temps, l’organisme a vu une explosion de demandes de proches de personnes prises dans la spirale du conspirationnisme et qui tentent de garder contact.

« Pour garder le contact, il faut retrouver les points communs que l’on partage et discuter de choses qui nous rassemblent », explique-t-il.

Pour Margaux Bennardi, coordonnatrice de l’accompagnement et de l’engagement communautaire au Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence, il faut créer des espaces de dialogue et essayer de comprendre pourquoi certaines personnes adhèrent à ces théories, plutôt que les pointer du doigt.

Écoutez l'entrevue d'Odile Maltais au micro de Philippe-Vincent Foisy sur QUB Radio:

« La pandémie est venue exacerber les facteurs de vulnérabilité comme l’isolement social, la perte d’un emploi ou d’un proche. Pour certaines personnes, ces théories sont venues donner des réponses claires, ce qui leur donne l’impression d’avoir du contrôle sur la situation », ajoute-t-elle.

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