Harry Styles

Pitch Perfect, Sherlock... C'est quoi le queerbaiting ?

Le queerbaiting, pratique consistant à laisser planer le doute sur la sexualité de personnages de films et séries, est de plus en plus pointée du doigt. Au risque de policer l'expression de la sexualité ?

De la série Supernatural à Rizzoli and Isles en passant par Once upon a time et Riverdale, on ne compte plus les exemples de queerbaiting fustigé par le public. Si la signification de ce néologisme anglo-saxon varie selon les époques, elle aurait été figée et popularisée sur Internet par les communautés de fans. Aujourd'hui, le terme qui signifie littéralement « appât à personnes queer » est utilisé pour désigner une technique marketing bien ficelée de l’industrie du divertissement.

Queerbaiting, une pratique bien rodée de l'industrie

Dans la série américaine The Good Place de Michael Schur, Eleonor, jouée par Kristen Bell, ne cache pas son attirance supposée pour Tahani, (Jameela Jamil), qu'elle exprime tour à tour à coup de sous-entendus évocateurs et blagues grivoises. Dans le film Pitch Perfect 3, Chloe (Brittany Snow) pousse Becca (Anna Kendrick) contre un mur, laissant longuement ses mains s'égarer sur sa poitrine, tandis que dans la série Sherlock, les scénaristes n'ont de cesse d'insinuer que le détective de Baker Street (Benedict Cumberbatch) et son fidèle sidekick Watson (Martin Freeman) pourraient être amoureux l'un de l'autre. Et dans la bande-annonce de la première saison de Riverdale, on aperçoit Veronica (Camila Mendes) et Betty (Lili Reinhart) échanger un baiser en tenue de pompom girls... Sauf que : il ne se passe jusque là jamais rien entre tous ces personnages, le baiser de Veronica et Betty n'était finalement rien d'autre qu'un bref instant de fétichisation lesbien.

Sous couvert de progressisme, ces mises en scène cousues de fils blancs tendent à maximiser les profits en captant une audience LGBTQA+, au travers d'allusions, évocations, blagues et symboles suggérant l'existence d'une relation non hétérosexuelle entre deux personnages. Or, non seulement ces relations qui n'aboutissent que très rarement ne sont jamais formulées clairement, mais elle sont aussi régulièrement récusées (voire raillées) par des studios et acteurs qui redoutent de rebuter un public majoritairement hétérosexuel.

Bien souvent avec le queerbaiting, le ton employé est léger et enjoué, quand il n'est pas sarcastique ou carrément dédaigneux. Comme le soulignent les Youtubeuses de la chaîne The Take, les créateurs réduisent ainsi les relations LGBTQA+ à de simples ressorts comiques, ou à des éventualités absurdes. Et dans les rares cas où les relations finissent par être avouées du bout des lèvres, les scénaristes s'en sortent par une pirouette, s'épargnant ainsi la peine d'avoir à écrire une véritable histoire d'amour. À ce titre, la série Supernatural diffusée en 2005 fait cas d'école. Après 13 saisons d'une tension sexuelle palpable entre Castiel (Misha Collins) et Dean (Jensen Ackles), Castiel finit par confesser son amour pour Dean avant d'être immédiatement envoyé en enfer, au grand damn des fans de la série. (Un autre trope éculé de l'industrie, connu sous le nom de bury your gays, consiste à se débarrasser des personnages gays en les faisant mourir).

Dorénavant, les fans en colère ne se privent plus de décrier la pratique, qu'elle soit observée au sein de films ou séries, ou repérée dans le comportement de certaines célébrités. Plusieurs artistes se sont vus à leur tour accusés de queerbaiting, à l'instar d'Ariana Grande, Harry Styles ou Nick Jonas. Or, si le fait de se présenter comme non hétérosexuel pour faire le buzz est tout aussi inélégant (cf. le cas Nicki Minaj) que retro (cf. le baiser de Madonna et Britney Spears lors des MTV Video Music Awards, les chansons All The Things She Said du duo t.A.T.u. ou I Kissed a Girl de Katy Perry...) blâmer les chanteurs mettant en scène dans leur clip une sexualité fluide est à double tranchant... Cela induit en effet que les artistes devraient être en permanence transparents sur leur identité et leur orientation sexuelle. Par extension, cela n'incite pas les individus à s'essayer de manière ludique et légère à expérimenter et vivre leur sexualité autrement. Et dans le cadre d'une production, cela récuse l’ambiguïté dans les films et séries comme puissant ressort narratif.

Queerbaiting, l'enfant bâtard du queercoding

Le queerbaiting n'est pas né de la dernière pluie. Il s'inscrit dans une longue tradition d'invisibilisation et de dénigrement des personnes homosexuelles à l'écran. En 1930, le code Hays interdit au cinéma la représentation de l’homosexualité, jugée immorale. Sous peine de voir les films exclus des réseaux de distribution ou tués dans l’œuf, les personnages non hétérosexuels ne pouvaient être représentés que de manière allusive et codifiée, donnant ainsi naissance à l'expression queercoding. Durant plusieurs décennies à Hollywood, certains attributs sont utilisés pour identifier les personnages non hétérosexuels : chez les hommes, un gout inné pour la mode, une certaine pleutrerie lors des combats, un comportement dit efféminé ; chez les femmes, une attitude jugée masculine ou le célibat.

Résultat : jusqu'aux années 2010, représenter des personnages ouvertement gays dans les films et séries grand public demeure tabou, comme dans le cas de la série Xena, la guerrière, diffusée en 1995, ou des films Beignets de tomates vertes (1991) et The Craft (1996). Comme le notent The Take, le queercoding est – à l'inverse du queerbaiting, induit par les paramètres de censure de l'époque, et donc « excusable. » Aujourd'hui, alors que les représentations LGBTQ+ sont (relativement) normalisées, la frontière entre queerbaiting et queercoding demeure floue au sein de certains espaces. Récemment, c'est le film d'animation Luca réalisé en avril 2021 par les studios Disney qui s'est attiré les foudres du public pour la représentation en demi-teinte de la relation entre les deux héros, perçue par une partie du public comme étant clairement homosexuelle. Pour certains, ne pas caractériser la relation comme étant ouvertement gays serait rétrograde, quand pour d'autres, le sous-entendu et l'allégorie compterait déjà comme un premier pas vers l'ouverture auprès d'un public toujours conservateur.

Laure Coromines

Laure Coromines

Je parle des choses que les gens font sur Internet et dans la vraie vie. Fan de mumblecore movies, de jolies montagnes et de lolcats.
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