Une lumière au bout d'un tunnel.
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Un  récent changement à la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR) est porteur d’espoir pour les clients qui souhaitent transférer leur entreprise à leurs enfants et profiter d’un avantage fiscal qui leur était quasi impossible auparavant. Même si certaines incertitudes demeurent quant à l’application de cette modification, celle-ci corrigerait une iniquité à l’égard des propriétaires d’entreprise qui souhaitent la transférer à leurs enfants.

Lors de la vente de sa société par actions, un entrepreneur a trois principales manières de transférer celle-ci, chacune assortie de différentes charges fiscales. Il peut payer soit 48,02% d’impôt s’il reçoit un dividende non déterminé lors d’un rachat d’actions, soit 26,65% d’impôt s’il réalise un gain en capital lors de la vente d’actions, ou encore aucun impôt s’il vend des actions admissibles à la déduction pour gains en capital (DGC). Évidemment, cette dernière exonération est limitée.

Pour permettre à un actionnaire de réaliser un gain en capital non imposable et conséquemment de ne pas payer d’impôt sur une somme de 892 218$ (indexée après 2021) et de 1 M$ pour une société agricole ou de pêche, de nombreuses conditions doivent être respectées, dont, entre autres, les critères de qualification qui se trouvent à l’article 110.6 de la LIR. La vente d’actions admissibles de petite entreprise (AAPE) permet en gros de réaliser des économies d’impôts d’environ 230000$ par individu pouvant demander cette exonération cumulative des gains en capital (sous réserve de l’impôt minimum de remplacement). Il n’est pas étonnant que les entrepreneurs structurent leurs affaires de façon à pouvoir en bénéficier.

Lors du transfert d’une entreprise dans un contexte familial, les règles se corsent. C’est l’application des articles 84.1 et 55 de la LIR qui complexifient la donne. En gros, l’article 55 (2) vient empêcher le retrait des bénéfices non répartis (BNR) de la société par un rachat d’actions ou un dividende intercorporatif non imposable. L’article 84.1 vient réputer certains gains en capital être un dividende imposable, ce qui empêche du coup la possibilité pour le parent vendeur d’utiliser l’exonération cumulative des gains en capital (communément appelée «exo»). Ce sera le cas notamment lorsque la transaction se fait dans un contexte familial.

Depuis de nombreuses années, le monde des affaires et la communauté fiscale se plaignent des iniquités et de la sévérité des mesures fiscales applicables lors de la vente d’actions de petites entreprises à des enfants. Au Québec, depuis le 17 mars 2016, il existe des mesures d’assouplissement très strictes dans un contexte de relève familiale permettant au parent vendeur de profiter de l’exo lorsque de nombreuses conditions sont respectées.

Contre toute attente, voilà que le 29 juin dernier le projet de loi C-208 a reçu la sanction royale, ce qui donne de l’espoir relativement aux mesures d’assouplissement des règles visant les transferts d’entreprises dans un contexte familial. Bizarrement, ce projet de loi n’a pas suivi le chemin habituel pour devenir une loi. Il émanerait plutôt de comités d’agriculture et d’agroalimentaire, et non pas du comité des Finances. De plus, le ministère des Finances du Canada aurait soulevé un nombre important de commentaires à l’égard de ce projet de loi, sans le soutenir. Mais celui-ci fait désormais partie intégrante de la Loi de l’impôt sur le revenu du Canada. C’est ce qu’a confirmé, le 19 juillet dernier, l’honorable Chrystia Freeland, vice première ministre et ministre des Finances.

En gros, l’article 55 a été modifié permettant à des frères et soeurs de ne plus être liés. De plus, le fameux article 84.1 de la LIR a été modernisé: il permet maintenant à un parent de réaliser un gain en capital et même de profiter de la DGC lorsque les actions sont vendues à une société détenue par son enfant ou son petit-enfant majeur. Évidemment, de nombreuses conditions doivent être respectées, dont, entre autres, l’obligation de fournir une évaluation indépendante de la juste valeur marchande des actions.

De plus, si le capital imposable de la société excède 15 M$, le parent vendeur ne pourra pas réclamer la déduction pour gains en capital et le montant admissible sera graduellement réduit lorsque le capital imposable est supérieur à 10 M$. Contrairement aux mesures d’assouplissement du Québec, rien n’indique actuellement que l’enfant acquéreur doit être impliqué dans les opérations de l’entreprise et aucune précision ne concerne la demande de la DGC pour des actions vendues qui seraient détenues en fiducie.

La fiscalité n’est jamais simple. Dans le Bulletin d’information 2021-6 publié le 12 août dernier, Québec a affirmé avoir harmonisé uniquement la limite maximale pour la détermination du gain selon l’alinéa 84.1 b) de la LIR. De son côté, le gouvernement s’est engagé à présenter au plus tard le 1er novembre prochain des modifications à la LIR qui respecteront l’esprit de ce projet de loi C-208 déjà sanctionné en apportant des précisions pour éviter les échappatoires, comme les dépouillements de surplus. Cette annonce a créé un doute quant à l’application des nouvelles mesures actuellement en vigueur. En fait, le communiqué prévoit l’intention du gouvernement d’instaurer des mesures visant le transfert véritable des actions et le contrôle de celles-ci ainsi que la participation dans l’entreprise de l’enfant acquéreur.

Bref, de nouvelles mesures venant préciser l’application des règles du projet de loi C-208 devraient entrer en vigueur soit le 1er novembre ou au début de 2022, soit à la date de publication du projet de loi final, selon la dernière de ces dates. Ces mesures additionnelles ne devraient pas s’appliquer de façon rétroactive. Il y a un risque de recotisations pour les transactions artificielles visant à tirer profit de cette modification. Même s’il demeure encore de l’incertitude fiscale dans les situations de relève familiale, gardons espoir.

Annie Boivin est directrice générale, planification fiscale et successorale chez Samara bureau multifamilial et détentrice du titre de Family Enterprise Advisor (FEA)