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Une forme de réalité sociale qui s’appelle l’erreur / Sous la direction de Bernard Troude / Vol.19 N.3 2021

L’erreur au cinéma : en partant des écrits et de la filmographie de Pier Paolo Pasolini

Douha N-Sira

magma@analisiqualitativa.com

Université de Sfax, Arts et Métiers, Université de Tunis, Doctorante Laboratoire de recherche en Arts Plastiques Cinéma et Image.

 

Abstract

Peut-être serez-vous un peu déçu avec ce qui va suivre ? Mais c'est que, voyez-vous, le monde des erreurs de scénario donc dans un film se divise selon moi en deux catégories : les erreurs involontaires, et les volontaires ! Deux ou trois films viendront dans cette recherche appuyer le fait que toute représentation doit faire admettre des erreurs en bien ou en mal conservées dans la diffusion de l’œuvre.

De la même façon Pasolini sera grisé par le bruissement de sa langue, il le sera par les visages et la réalité sociale à laquelle seul le cinéma lui donnera accès, sauf à détecter quelques erreurs naturelles ou fabriquées par l’humain. La poésie n’est-elle pas un dialecte artificiel ? Un idiolecte pour être plus franc, précisera-t-il tout le temps. L’acte poétique tel que l’envisage Pasolini est simplement ce besoin d’aller à la rencontre d’une réalité chère et perdue, à la rencontre de l’autre sans inclure de fausses connexions ou fausses apparences. Quelle différence y-a-t-il entre vouloir approcher un texte poétique lu en utilisant un dictionnaire ou vouloir approcher la réalité en se servant d’une technique audiovisuelle ? L’expression parlée est déjà une réalité en elle-même quand l’enjeu est le slogan et la sentence, c’est ainsi qu’elle nous donne des images du monde, après elle peut devenir outil de communication et modèle sémiologique, mais en réalité cela n’intéresse pas les cinéastes, Pasolini en particulier. Cet artiste du film veut utiliser un visage comme on envisagerait un nom, un accent comme on utiliserait un adjectif. Le franchissement de l’espace invention romanesque à celui du cinéma est soutenu par lui comme une conquête politique : ne pouvant plus aller contre sa conscience, ne pouvant plus parler du monde rural, des banlieues prolétaires dans un hoch-italienisch rattaché à une culture en ‘pleine essor’ de la consommation, il devait désormais les montrer, les articuler dans un destin où l’action est le seul langage. Langage spécifique ou cinéma, n’est-ce pas là, la même cible : se donner à la rencontre de la réalité dévoilée pour le poète qui accomplit ainsi son destin ?

Dissident au commencement de son œuvre littéraire, écrite en Frioul, dissident au début de ses recherches filmiques en cherchant dans le cinéma un signe, sa vision du cinéma comme « la lingua scritta della realtà » sera le début d’une polémique qu’on ne pourra pas comprendre si l’on n’accepte pas que le seul discours qui traverse son œuvre est celui de la poésie, l’intensité de ce lien avec le monde lui permettait de voir dans le cinéma le reflet de la réalité, reflets écartant toute possibilité d’erreur dans la vision et la lecture des images-mouvements.

 

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Chaque humain est fait diversement disons, dans ses agencements, il est fait indistinctement, composer autrement aussi dans les conformations spirituelles. Donc, est à considérer que tout humain, malgré des termes de composition biologique identiques, seraient à leur manière en dissemblances persistantes avec la Nature. Ne serait-ce pas la reconnaissance d’une anormalité incessante ? Fond/forme, narration/démonstration, prose/poésie, réalité visuelle et images (Chklovski, Eikhenbaum, 1996) telles sont les distinctions dialectiques prônées par Pasolini dans son langage poétique et cinématographique.

 

« Dans toute cette matière complexe et malodorante dans ses éléments incommensurables qu’un réalisateur a devant lui, il y avait le risque, je ne dirai pas de l’échec, de la surdité, mais du ridicule, du douloureux, de la honte. J’ai dû surmonter cette question en trouvant à chaque instant le moment de la sincérité, c’est-à-dire de l’expressivité » Pier Paolo Pasolini (Kim, 2017).

 

Dans le contexte de cette époque (1965/1975) Plusieurs films se sont faits remarquer par leur intensité et leur dramaturgie et surtout par une forme d’incompréhension totale des spectateurs et des critiques. L’erreur qu’il faut bien dénoncer est très vite perçue : le scénario, ayant engendré les images et les dialogues, laisse une empreinte totalement floue et sans réponse possible aux questions qui vont se poser dès la fin des films. Les plus représentatifs dans tout ce contexte de l’industrie italienne du cinéma restent ces deux exemples : Mort à Venise (Thomas Mann pour le roman et Luchino Visconti pour la réalisation du film) et Théorème de P. Paolo Pasolini [1]. Il y a un écart démesuré entre ce que ces réalisateurs ont produit techniquement en apportant leur point de vue sociologique d’une époque, même adapté comme la mutation par Visconti du roman de Th. Mann (1910), et les visions pas du tout analogues et harmonisées pour tous et toutes par un public non averti, très choqué. Publics qui s’attendaient à regarder, écouter un chef-d’œuvre [2] (Pasolini, 1978). Dans le sillage de Pasolini, il nous faut appréhender les questions de ce ‘‘poète réalisateur’’ plutôt que cinéaste.

 

N’est-ce pas le Frioul, ce coup de vent qui fait plier le tendre corps des aulnes ? N’est-ce pas dans le tissage de chaque vers qu’il entend le cri antique des cendres, la langue de sa mère ? N’est-ce pas le moment venu de s’initier à l’heure où le souvenir émerge sous la forme d’un mot nu immense qui gît dans le silence de la nature ?

 

Contextes socio-culturels et politiques

 

Les choix stylistiques de Pasolini et sur ces différentes contradictions, notamment dans les premières œuvres écrites et filmées demeurent compliquées dans leurs définitions. Mais dès le premier examen dans la question théorique du réalisme dans les années 1960 et des diverses prises de positions par les intellectuels italiens et de ce fait également de Pasolini, il convient tout d’abord de dresser un bref panorama contextuel de ces années en Italie, afin de saisir le rapport étroit entre culture et politique. Dans de grandes lignes, l’esquisse de la situation politico-historique générale de l’Italie avant et après 1960 amène un rappel des principaux événements de cette période, qui ont profondément conditionné les choix et les habitudes comportementales des italiens. Cette manière de penser a eu une influence durable non négligeable sur leur vision du monde : il s’agit du rapport privilégié entre culture et politique.

 

D’autre part, un examen au plus près de la lutte idéale et culturelle qui mène le parti communiste italien rapporte un point de référence obligé et favorisé de toutes les tensions qui vont animer les intellectuels (elles) italiens à propos des complexes orientations. Les positions que Pasolini va prendre vis-à-vis du PCI rend compte d’une part de son besoin de ne jamais renier totalement son engagement communiste dont l’émulation le stimule et qui lui permet, aux côtés des autres, d’être considéré lui aussi comme un intellectuel, mais dénote d’autre part son besoin de rester en dehors de tout parti, groupe ou mouvement. Ce dont Pasolini se soucie alors, c’est de comprendre pourquoi lui-même a été rejeté d’un mouvement d’« écrivains respectables », alors qu’il se sentait seul autorisé à écrire sur les sujets contestataires, bafouant un réalisme, décrété vulgaire, désormais massacré (par la littérature bien-pensante) et gît à terre, comme il dit. C’est au nom de ce réalisme trahi que Pasolini développe sa pensée et qu’il écrit. Et dans son passage de la littérature au cinéma, il conservera cette même dévotion, ce même amour pour la réalité décrite en poésie aussi minutieusement qu’il lui sera possible.

 

Avec Pier Paolo Pasolini, considérer l’histoire récente signifie éprouver une sorte de vertige, celui que l’on perçoit lorsqu’on se renvoie soi-même dans un temps contraint, un présent illimité dans lequel tout change et tout parait pourtant inscrit par le passé. Quarante ans après sa mort, Pasolini est toujours réalité, et son cinéma prouve sa force demeurée intacte, capable aujourd’hui encore de susciter surprise et émotion.

 

Dissident au commencement de son œuvre littéraire, écrite en Frioul, dissident au début de ses recherches filmiques en cherchant dans le cinéma un signe, sa vision du cinéma comme « la lingua scritta della realtà » [3] sera le début d’une polémique qu’on ne pourra pas comprendre si l’on n’accepte pas que le seul discours qui traverse son œuvre est celui de la poésie, l’intensité de ce lien avec le monde lui permettait de voir dans le cinéma le reflet de la réalité, reflets écartant toute possibilité d’erreur dans la vision et la lecture des images-mouvements. Nous voyons bien le bon escient dans l’utilisation de la technique ‘Zoom’, le zooming. L’effet fondamental de ses images manipulées par la technologie et la technique qui lui est propre comme pour son compatriote le réalisateur Luchino Visconti. Parce qu’il est depuis le début à la recherche de cette altérité perdue, il ne fera pas de films dominant cette agrégation à la façon de s’exprimer très poétiquement bachelardienne, dans un équilibre imaginaire extrême semblable à celle des avant-gardes.

 

Au niveau strictement cinématographique, les choix linguistiques et thématiques de Pasolini font naître la recherche d’une solution à la crise marquée par les réactions au néoréalisme : en effet, il se rend compte que le néoréalisme comme l’avant-garde littéraire est dépassé, mais en même temps il ne peut pas la renier totalement. Au travers de cet expérimentalisme, il cherche à poursuivre un réalisme basé sur les enseignements gramsciens (Entwistle, 1979) incorporant dans ses idées de poèmes et de scénarios les concepts fondamentaux d’Antonio Gramsci (Gramsci, 1978). Le renouvellement culturel devait coïncider avec une problématique morale, avec une exigence idéologique de connaître le monde et c’est, pour lui, la seule idéologie marxiste qui peut la rend possible. Ma constatation est que Pasolini continue à croire en l’histoire et dans le rôle idéologique de l’intellectuel dans ce processus de renouvellement ; il se propose ensuite de créer une idée de la réalité, c’est-à-dire une représentation totale de la réalité, vécue par le sous prolétariat. Cela l’amène à étudier attentivement les mouvements et les manières des jeunes des banlieues romaines comme s’il en faisait une étude ethnologique et sociologique. Toute une pensée qui s’est révélée pleine d’erreurs même si le fond pouvait paraître louable.

 

Peut-être serez-vous un peu déçu avec ce qui va suivre…

 

Mais c’est que, voyez-vous, le monde des erreurs de scénario, donc dans un film à suivre, se divise selon moi en deux catégories comme en toutes spécialités humaines : les erreurs involontaires, et les volontaires ! Deux ou trois films viendront dans cette recherche appuyer le fait que toute représentation doit faire admettre des erreurs en bien ou en mal, conservées dans la diffusion de l’œuvre.

 

De la même façon qu’il sera enivré par le bruissement de cette langue - le Frioul - Pasolini le sera par les visages et la réalité à laquelle seul le cinéma lui donnera accès, sauf à détecter quelques erreurs naturelles ou fabriquées par l’humain. Pasolini est surement un poète d’une certaine manière avant d’être un réalisateur. La poésie n’est-elle pas un dialecte artificiel ? Un idiolecte pour être plus précis. L’acte poétique tel que l’envisage Pasolini est simplement ce besoin d’aller à la rencontre d’une réalité chère et perdue, à la rencontre de l’autre sans inclure de fausses connexions ou fausses apparences. Quelle différence y-a-t-il entre vouloir approcher le Frioul en utilisant un dictionnaire ou vouloir approcher la réalité en se servant d’une technique audiovisuelle ? La langue est déjà une réalité en elle-même quand l’enjeu est l’expression, c’est ainsi qu’elle nous donne des images du monde, après elle peut devenir outil de communication et modèle sémiologique, mais en réalité cela n’intéresse pas Pasolini (Pasolini, 2000). Il veut utiliser un visage (premier cadrage d’Accattone en1960) comme on percevrait un nom, un accent comme on utiliserait un adjectif. Le passage de la littérature au cinéma est assumé par lui comme une prise de position politique : ne pouvant plus aller contre sa conscience, ne pouvant plus parler du monde rural, des banlieues prolétaires dans un hoch-italienisch rattaché à une culture en plein essor de la consommation, il devait désormais les montrer, les articuler dans un destin où l’action est le seul langage. Frioul ou cinéma, n’est-ce pas là un même objectif : se donner à la rencontre de la réalité dévoilée pour le poète qui accomplit ainsi son destin ?

 

Il est pensable, comme les publics et les critiques de l’époque de sortie du film, de considérer la photographie et le montage liés au son comme intégralement hétérogène, impénétrable et surtout problématique, il n’en reste pas moins que deux solutions ouvrent la discussion : soit un moment d’Art soit le tout est une erreur. Pour se sortir de cette ambiance, mes questions posées auront fait comprendre que la vision poétique de P. P. Pasolini n’est pas un terme de fin mais un dénouement. Quand il lui sera réclamé : « Comment un marxiste comme vous […] peut-il trouver de l’inspiration dans la vie de Jésus ? ». Sa réponse sera aussi simple : « Mon vécu des choses est très intériorisé, mon regard vers les choses du monde, vers les objets est un regard non naturel, non laïque, je regarde toujours le choses comme appartenant un peu au miracle ; chaque objet pour moi est miraculeux, chaque vision - de façon informelle et non confessionnelle - est une vision religieuse du monde ».

 

On pourrait même inciter nos regards à la découverte d’erreur sur les composants de son cinéma vers un paganisme qui va le classifier plus familier de la pensée Dogon : « L’homme cherche son reflet dans tous les miroirs d’un univers anthropomorphique dont chaque brin d’herbe, chaque moucheron est porteur d’une ‘parole’. C’est ce que les Dogons nomment ‘parole du monde : àduno et sò’ » (Calame-Griaule, 1968). Pasolini, comme parallèlement à son compatriote Visconti, va élargir une sémiologie de son œuvre cinématographique à partir de certains principes de prise de vue ou d’imagination texte/image-mouvement mis en valeur par ses expériences de l’image et du langage puisées dans des contenus séculaires. Il faut bien remarquer que toutes ces essences se rapportent à la poésie et aux images lues mêlant vérités authentiques et erreurs historiques. Sans quoi, comment faire un conte, un récit ? Dans l’exigence du réalisateur, ces accumulations de signes, de photos ou d’espaces photographiés effectuent à l’unisson le soutien du regard - neuf ou dépassé - selon une cadence imposée dont la crête ne sera qu’une phrase de son langage, langage initié par ses réalités journalières. Et entre autres choses, un langage que Pasolini prophétisait avec une perspicacité remarquable et inégalée comme en certifie la sociologie très exigeante qu’il montre dans ses Écrits corsaires (Pasolini, 2009) et qui, plus d’une fois, ont été le fondement de ses embarras et de ses tourments. Il nous faut considérer qu’à ce moment, il se met dans l’erreur car ses images liées à ses textes ne paraissent pas cohérents ensembles. Les formulations présentées dans cet opus affirment, par leur polémique violente, une démarche agitatrice. Cependant chez Pasolini, la seule incitation à une réflexion insurgée reste sa volonté de ne rien escamoter dans sa recherche de la vérité. L’erreur constituée apparait depuis par les difficultés d’un public difficile ayant une incompréhension absolue sur ce qui est transcrit puis exprimé.

 

Par ailleurs, ce débat public le contraint à se légitimer contre la rigueur d’une science qui commence à se définir entre sémiologie, sémiotique et psychologie des codes cinématographiques. A ces sujets, certaines remarques ne manquent pas de pertinence si, et seulement si, nous les adoptons à certains regards convenus et habituels du cinéma. C’est à ce poids des conventions se développant dans l’exigence de servir l’image du medium technique à l’intérieur d’un processus de représentation. Le reproche qui semble possiblement être adressé - tant à Pasolini qu’à Visconti - serait de ne rien distinguer entre le « code filmique », chargé de codifier « une communication au niveau de règles déterminées du récit », et le « code cinématographique », destiné à encoder « la faculté de reproduire une forme de réalité au moyen d’appareils cinématographiques » ; comme si Pasolini avait pris l’appareil technique par le scénario. Dans une conception de Umberto Eco « le premier (code) s’appuie sur le second » (Eco, 1979) et ce serait à l’art de la poésie de pouvoir s’adapter aux conventions purement techniques du cinéma, au code « anthropologique-culturel » du film de s’assujettir à un code « techniquement plus complexe » et directif qu’il faudrait concevoir soit un réel discours filmique.

 

Pour Pasolini, il n’y a pas d’antinomie : ce sont ses émotions qui le conduisent à développer en toute autorité et ses capacités instinctives sont montrées provenant de ses explorations d’erreur ou/et de vérité conçue et interprétée.

 

Nouvel état de sa pensée

 

Dès les prémices de ses recherches en poésie puis en images filmées, il fait l’expérience de toute forme à travers ses sensibilités vues au travers d’une langue (Frioul) comme la sémiologie de la réalité, en envisageant la possibilité d’utiliser les techniques du cinéma. Avec ses expériences de la forme -faite de réminiscence et intuition- à travers sa sensibilité de poète, comme « un nouvel état de tension de la pensée ». Et cela, il ne pouvait que l’attribuer à la linguistique et, par là même, à la sémiologie. L’idée est le plus clairement expliquée dans ce besoin de changer de langue, ce qui implique non un changement de pensée mais une tension en rapport direct avec la forme et l’écriture filmée d’où cette apparence d’erreur possible ; car la vision du poète ne peut se comprendre qu’à une lecture pointue et non superficielle. Pasolini, dans son écriture d’un texte - de sémiotique ou de poésie - ne fait aucune interversion dans les règles de sa langue maternelle. Par contre, en essayant d’apaiser le monde en Frioul, il doit simplifier cette construction ancestrale, il doit y faire apparaitre l’ascétisme de son émanation face au temps renfermé dans son langage. Cette authentique pression ne l’empêche pas d’exister activement, sensiblement.

 

S’en suivra son expérience du cinéma qui commence par une simplification totale des moyens pourvus : rien ne doit pas perturber la forme entrevue qui trouvera son épanouissement au fur et à mesure que la pratique s’installe. L’émulation accomplie ici par Pasolini est impressionnante : ses travaux rendent transparente la gestation de ce « nouvel état de tension de son esprit » [4]. à cet instant, il faut parler de révélation sacrée à propos de la réalité assumée par Pasolini comme le moyen idéal dans son intention d’abandonner la langue littéraire : celle-ci serait plus particulièrement tangible dans les films ou, en tant que photographe, il va à la rencontre des corps, des visages, des gestes, de ce qui transpose le réel par son expressivité qui devient matière malléable dans ses mains, dans son histoire ou son enquête [5]. Il en va tout autrement avec l’indice d’absolu auguré par le cinéaste qui se heurtera avec le réel et le fait que le cinéma reste une industrie. Il découvre par-là-même les sources d’erreurs amenant les incompréhensions futures de beaucoup de publics [6]. C’est pourquoi, il n’est pas antithétique de percevoir en Pasolini un poète démoralisé, au sein d’une équipe d’aventuriers impulsifs et blasés, honnir l’astre inexplicable et « odieux dans son mystérieux guet-apens dans les nuages, dans ses couchers de soleil prématurés » [7] (Pasolini, 2001). Son seul objectif est alors de ne pas perdre de vue l’indice préliminaire de la forme, ce qu’il vit en termes de sincérité : « In tutta questa materia complessa e maleodorante nei suoi elementi incommensurabili tra loro che un regista ha davanti à sè, c’era il rischio, non dico delle non riuscita, della sordità, ma del ridicolo, del penoso, del vergognoso. Dovevo vincere questa materia trovando in ogni momento il momento di sincerità, ossia di espressività.» [8].

 

Ce qui semble être une objection (ténacité de l’erreur) favorise néanmoins le détachement qui s’est opéré si naturellement dans sa filmographie avec des films qui, ébauchés comme des carnets - Appunti per un film sull’India, Appunti per una Orestiade africana [9] - vont simplement s’ériger autour de sa voix, aimant, centre gravitationnel de sa vision et de sa quête. Pasolini a touché, par son goût de l’altérité, le cœur du réel en le libérant de toute emprise représentationnelle. Ce sont des films où le postulat de la représentation entre dans la perspective du réel, en élevant une chaîne de correspondances entre réalités, conventions, erreurs et jugements dont la finalité est l’introspection d’une problématique pour l’Afrique et le dit ‘Tiers-monde’ : la naissance d’un essai du vivre ensemble en démocratie en ces lieux ou plutôt le spectre de la faim dans le tiers-monde. Il ne s’agit pas de documentaires bien assurément, car ils ne cherchent pas à constituer un registre déterminé des valeurs bonnes ou mauvaises et erronées ou authentiques. En complément, il va faire l’essai d’un répertoire d’une réalité à partir d’un seul point de vue : le sien. La structure est telle qu’elle va créer une distance, dont le point de vue est celui qui doit se former chez tout spectateur. Et de là, la complexité du discours filmique va dépasser toutes recherches d’étude de cas et tout effort théorique pour comprendre ce que peut être (ou pourra être) le cinéma. Bien évidemment, il se trouve dans la lignée ouverte par Isidore Isou avec ses idées insistantes, obsédantes, autour du mythique, du légendaire, du chimérique et non moins quotidien entre poésie, musique et image imaginée [01].

 

Rappelons-nous, Pasolini dans le débat sur la langue écrite de la réalité a consigné : « L’image et le mot, au cinéma, sont une seule chose : un topos. Il dépend de l’endroit où se trouve le spectateur pour le percevoir comme une chose unique ou une chose (un peu ou beaucoup) divisée et dissociée. » [11].

 

Pertinemment dans ces espaces-mouvements, il se pratique une recherche de l’erreur enfouie à l’intérieur ou entre les images d’un spectacle sur pellicule évolution dans une nouvelle configuration devenant l’une des coutumes contemporaines de la cinéphilie allant des auteurs, aux techniciens vers les spectateurs. Notons que les plus fréquentes erreurs recherchées dévoilent celle de toute présence d’un membre de l’équipe de tournage dans le coin d’un décor, la survenue éphémère d’un appareil technique au-dessus de la scène et des acteurs, les opérateurs en ombre se reflétant dans un miroir du décor spécifiquement travaillé. Il y a la présence hors d’époque d’un accessoire fixe ou porté anachronique dans un thème historique, genre montre au poignet sous le règne d’un roi. Ces éléments constituent des petits graals que tous les spectateurs - dénicheurs d’erreurs - vont se précipiter de rapporter sur les plateformes qui leur sont affectés. Par le terme générique de ‘goof’, Réjane Hamus-Vallée, et Olivier Caïra[12], déjà concepteur d’un certain nombre d’ouvrages sur le rôle de la fiction, se proposent : d’expliciter trois types d’erreurs symptomatiques : les « incohérences internes » qui ont partie liée avec le travail en post-production (l’emblématique faux raccord) ; les « incohérences externes » relatives aux anachronismes et autres anomalies culturelles ; les positions imposées qui révèlent les artifices employés durant ou après le tournage (la fameuse perche plus ou moins visible en haut de l’image).

 

Ces recherches ont un précédent écrit par Bill Givens (Le Cinémato-gaffes, Ramsay, 1993), relève principalement de son articulation réussie entre trois tendances complémentaires : la technique, l’esthétique, et la réception des films. En fait, cette approche adoptée s’étend aussi autant sur des questions d’ordre sociologique que formelle. Le repérage des ‘goofs’ aurait donné naissance à une « cinéphilie augmentée », encouragée par l’apparition du DVD et du Blu-ray qui permet de voir les films autrement, de nombreuses fois avec cette possibilité de créer des zooming sur les reproductions tout en bénéficiant d’une matière de travail d’excellente qualité.

 

Pris dans le piège de son temps, unité d’une société qui a cru devoir imaginer la représentation d’un Pasolini débordant de contradictions, afin d’expier le silence autour de sa mort, preuve irréfutable que la lobotomie s’était déjà accomplie (Naze, 2011).

 

Interrogations sur les limites idéologiques des positions pasoliniennes

 

Pour terminer cet échange en partant de faits précis, je peux percevoir que l’erreur fait partie de sa création artistique. Apparaissent des valeurs archaïques où puisait son regard, son expérience du langage vont constituer peu à peu un abécédaire spécifique propre à lui-même. Les rudiments d’un alphabet cinématographique à partir desquels il va développer une proto-sémantique du cinéma, un conglomérat de signes agissant à l’unisson dans le besoin d’appuyer le regard selon un rythme donné et dont la culmination n’est qu’une phrase du même langage que celui dont la réalité fait ses phrases. Langage qu’il lisait avec une acuité incomparable comme en témoigne la très fine sociologie qu’il déploie dans ses Écrits corsaires et qui plus d’une fois lui ont causé des problèmes. Le débat public l’obligeait d’ailleurs à se justifier contre la rigueur d’une science qui commençait à se définir entre sémiologie, sémiotique et psychologie des codes. Les remarques d’Eco ou Metz ne manquent pas de pertinence si, et seulement si, on les applique au regard conventionnel du cinéma, à ce fardeau des conventions qui s’est développé dans le besoin d’utiliser l’image du medium technique à l’intérieur d’un processus de représentation. Le reproche que tous deux semblent lui adresser serait de ne pas distinguer entre le ‘code filmique’, chargé de codifier « une communication au niveau de règles déterminées du récit », et le ‘code cinématographique’, destiné à codifier « la faculté de reproduire la réalité au moyen d’appareils cinématographiques », comme si Pasolini avait pris la caméra par le scénario. Dans la vision de Eco « le premier [code] s’appuie sur le second » (Eco, 1972).

 

Ma recherche sur L’erreur au cinéma à travers les films de « Pier Paolo Pasolini » se fonde ainsi dans ce contexte où nous sommes face à une prospection qui me guide à exposer l’intention fondamentale de la pensée proposée et de réévaluer la validité de ses textes théoriques sur le cinéma : interrogations sur les limites idéologiques des positions pasoliniennes, en confrontant la théorie à la pratique. Le noyau des écrits pasoliniens sur le cinéma comprend aujourd’hui L’Expérience hérétique publié en (1972), dont la partie « Cinéma » rassemble des interventions occasionnelles parsemées entre (1965) et (1971) ainsi que deux importants entretiens accordés par Pasolini lui-même à très peu d’intervalle l’une de l’autre [13].

 

Ne se souciant pas des erreurs de jugements personnels possibles, ses prises de position vont le plonger dans des conséquences malheureuses sans fin au cours de polémiques, juridico-intellectuelles. Le plus clair de son temps se passera dans les tribunaux avec quatre mois de prison pour « insultes au sentiment religieux » [14]. Une théorie du montage sera défaite et démontrée avec son court-métrage La ricotta [15] : visage prolétaire + musique sacrée, iconique religieuse + musique profane = blasphème ! Trente-trois procès dans l’erreur de compréhension, crucifiant pour toujours le bilan d’une vie, ont été tenus mais qui pourrait s’en plaindre ? Cela aurait-il eu un sens d’estimer et croire en deux types spécifiques de cinéma ?

 

Commencer par le film Salò

 

Quand le développement de La trilogie de la vie amène fatalement La trilogie de la mort. Du premier cadrage d’Accattone (1960) jusqu’au dernier photogramme de Salò (1975), Pasolini raconte l’histoire de son Italie tout en faisant la critique. C’est dans celle-ci qu’il s’inscrit, hors norme, hors gabarit. Il est curieux. Pourquoi son cinéma n’est pas moderne (du moins pas dans le sens de Rossellini ou de Renoir), tout en étant contemporain, dans le sens où il ne se sent pas fixé à la période, que la critique cinématographique, dans la plupart des cas, en ait invoqué le sens profond de son travail, utilisant des critères de jugement traditionnels, s’attardant donc sur ‘l’imperfection fertile’ de ses films, altérant une vue sous-évaluant cet aspect plus singulier, hybride, troublant, d’un cinéma. Ce cinéma capable de raconter en anéantissant une époque qui s’anéantit.

 

Comprendre le film Salò[16] est d’une accessibilité difficile s’il n’est pas englober dans le contexte de l’abjuration qui a commencé depuis 1973. Alors, ne serait-ce pas un anachronisme que vouloir se poser une telle question : la condition du cinéma aux années 70 et l’idée qu’il aurait pu s’en faire ne pouvant pas être mise en cause, s’agissant de deux rapports en plein changement et transmutation. C’est installer un anachronisme hâtivement que de vouloir notifier une contradiction autour de sa condition de cinéaste appartenant à un establishment et à une industrie flamboyante. Faut-il se souvenir des difficultés avec lesquelles la plus grande partie des réalisateurs italiens faisaient leurs films ? La rapide et brillante carrière de Pasolini démarre avec les dernières vagues du néoréalisme pour s’introduire dans un monde surprenant pour ce moment contemporain. Les producteurs en tireront le plus de profit. Pasolini gardera la distance qu’il saisit peu à peu avec ce monde, distance complémentée par l’abjuration dont il n’arrivera pas à se remettre. Cela ne fait qu’éclairer son désaccord et l’ampleur du labyrinthe dans lequel il s’introduisait. Sa frustration ne pouvait se prêter à des considérations d’ordre stylistique et il écrit à ce sujet : « La perte de réalité, au fond, serait essentiellement sa résorption sous des formes bourgeoises de réalité, au premier rang, celles qui découlent des exigences de la communication de masse, autrement dit des formes d’un langage devenu essentiellement instrumental. À l’image des formes dialectales et des accents régionaux éradiqués sous les coups de boutoir de la langue italienne standard des médias, les corps pauvres auraient cédé la place à des corps homologués, signifiant donc la disparition de l’altérité elle-même. » (Pasolini, 1982).

 

Cette phrase prémonitoire est écrite par Paolo Pasolini. Le 2 novembre 1975 au matin, son corps martyrisé a été retrouvé sur un terrain vague proche de la plage d’Ostie. Pourquoi parler à nouveau de Pasolini, cinéaste et écrivain incandescent, « pythie des années de plomb », comme l’ont dénommé certains ? Parce que sa mort, longtemps considérée comme l’inéluctable aboutissement d’une errance homosexuelle dans les lieux les plus dangereux, ne semble plus relever du fait divers ! Ce qui était appréhender comme une erreur de la nature ne devient qu’erreur sociale et erreur de santé ; faire taire le poète avant qu’il ne dévoile quelques indiscrétions bien importunes sur les usages et règles politiques de l’Italie de ce temps-là qui alertaient ce qui surgirait largement plus tardivement : le « berlusconisme ». Assurément, le réalisateur doit endiguer où placer le témoin-observateur (spectateur) par rapport à ce simple acte et à surpasser la tournure vaine et inefficace du champ / contrechamp. Revenir sur l’idée clé de Guy Debord se conçoit dans la vision du contrechamp au cinéma par le spectateur et annoncé des détails comme : qui pourrait se plaindre ? Qui peut requérir le pourquoi, Pasolini poète et réalisateur n’a pas poursuivi sur la voie de ces films au lieu de s’épuiser à l’intérieur d’un système ; système qui a fini par le trucider dans une complète liberté. Contre les médias, en particulier télévisuel, il écrira d’autres textes sur les sociétés italiennes et les politiques, ajustant ses propres mots sur des détails religieux pour toutes les religions. Pasolini s’est ouvert à des contributions de façon à se libérer et libérer cette société à travers l’image du corps que ses films véhiculent dont l’enseigne est le sexe et sa joie, la vie : « Meglio essere nemici del popolo che nemici della realtà » [17] (Pasolini, 1976).

 

Je dois signaler tout de suite l’impossibilité de retrouver une cohérence systématique à l’intérieur de ses écrits, en raison de la répétitivité de son argumentation : par exemple, les textes de L’Expérience hérétique, nés d’un débat très vif lié aux initiatives de la Mostra Internazionale del Nuovo cinema de Pesaro, dans la deuxième moitié des années 1960. Bien que réunis et publiés par l’auteur, ils n’ont subi aucune sélection ni révision tendant plutôt vers l’élaboration de ce « livre blanc », dont la partie la plus étendue aurait été à concorder à la suite, si l’on considère que le projet du poète fut la construction d’un volume au titre de cinéma come « semiologia della realtà ». Dans ce projet, il aurait achevé le « rêve ambitieux » d’une « sémiologie générale de la réalité comme langage ».

 

Tous les messages ont eu des résonnances particulières et ont fait correspondre textes et images. Encore une fois, l’erreur, si elle peut exister, se faufile entre les idées d’un homme hors du commun et les lecteurs/regardeurs des films exhibant leur incompréhension totale. Sauf quelques-uns dont Nino Baragli qui s’est toujours trouvé au montage des films. Ceci n’implique pas le silence contestataire de Nino Baragli, adjoint/monteur de toutes les œuvres filmées de Pasolini. Il s’est retiré de la vie publique italienne, si par vie publique l’on interprète les tonalités d’une influence télévisuelle omniprésente dont la stupidité provoque l’étourdissement « faire une émission de télé, montrer des images de Pasolini défiguré et inviter le jeune qui a été utilisé comme alibi pour l’inculper de sa propre mort, dépasse tout seuil de rationalité » (Pasolini, 2003).

 

Disposition spirituelle, le fondement de toute essence-imagination

 

Début janvier 1975, Pasolini parlait d’une réalité - sans s’en rendre objectif - qui ne serait qu’une abstraction créée par ce spectre médiatique partant de son « langage essentiellement instrumental » commencé à ces moments qui recouvre tout au point d’envahir et submerger le réel d’où cette consolidation d’un pouvoir bâti par cette accumulation de faits hiérarchiquement sur tout le tangible indiscutable et toute possibilité de nos visions imagées. Son erreur ne se dévoilera pas sur ce fait que les politiques, les religieux, les sociétés conservatrices vont obtenir un profit notoire de la situation.

 

Les films ont ‘‘embrasé’’ les publics car déjà avec Salò il fut aux portes de l’enfer pour outrager des esprits tranquilles sans porter cette attention précise qu’à nouveau il allait rendre le système, à transgresser un accès perceptif de toute violence devenant malgré lui et malheureusement partie caractéristique d’un régime quotidien de nos imaginaires. Alors qu’il cherchait à récupérer quelques éléments - bobines de son dernier film - qui lui ont été dérobés il parle : « Je ne mâcherai pas mes mots : moi, je descends en enfer, et je sais des choses qui semblent ne pas troubler votre quiétude. Mais prenez garde. L’enfer monte chez vous aussi. C’est vrai qu’il s’approche, dissimulé derrière toutes sortes de masques, toutes sortes de drapeaux. C’est vrai qu’il imagine de nouveaux uniformes et -quelquefois- de nouvelles justifications. Mais c’est vrai aussi que son envie, son besoin d’attaquer, de frapper, de tuer est de plus en plus fort et de plus en plus généralisé. Il ne restera plus très longtemps la seule expérience intime et risquée de qui a goûté, comment dire, à la « vie violente. Ne vous faites pas d’illusions. Et vous, avec vos écoles, avec votre télévision, avec vos journaux bien tranquilles, vous êtes les grands conservateurs d’un ordre horrible fondé sur la possession et sur la destruction. » (Pasolini, 1982). Abusé et trompé par deux fois, pouvait-il abandonné sa trilogie de la mort, s’il n’avait pas été assassiné dès le second et troisième volet ?

 

En définitive

 

Personne n’aurait entendu ce que hurlait ce prophète avant qu’il ne soit totalement absorbé par ce pouvoir auquel il se devait combattre et avant de ne devenir une marque, une marchandise, trophée d’un homme qui possède tout, droits de films, droits littéraires, et qui perçoit librement la plus-value du sang du poète. N’est-ce pas cela le droit d’image, le droit à l’image ? L’ironie de l’histoire voudrait constater un parallèle entre la dénonciation de Pasolini “d’une fausse libéralisation des mœurs (sexuelles), voulue en réalité par le nouveau pouvoir réformateur et permissif, qui est en définitive le pouvoir le plus fasciste que l’Italie ait connu dans son Histoire et celle de la liberté d’expression toute aussi fausse de la société du spectacle où il a cru pouvoir vivre et dire librement ce qu’il raisonnait, conceptualisait.

 

Tout spectacle produit pour toute société est répété, garanti par le système de consommation, corps jeunes ou idées enragées. C’est la condition d’être du spectateur qui fait du créateur la portion adaptée d’un dialogue qui peut soumettre le regard et l’anéantir au silence en faisant disparaître le réel, en avilissant le regard à l’examen de toute œuvre.

 

Les espaces contenant les erreurs deviennent multiples. Le miroir guette toute personne depuis le fond du couloir, -métaphore borgésienne qui annonce la cécité devant l’écran quantique où l’on croit voir notre image ; « nouvel état de tension de la pensée » dans lequel on sait que la fixité des images n’est pas le contraire de leur animation, puisque depuis la conformation de la forme cinématographique et son absorption dans la matrice numérique, toute image est vécue dans une dialectique temporelle : notre regard adhère à une forme tout simplement parce que l’image en mouvement aimante l’œil dont la nature est le mouvement, s’il n’y a pas de mouvement il le crée au nom de l’interactivité (Deleuze, 1982).

 

Pasolini décrit une autorité qui n’est que l’amplification propagée aveuglément par les médias et qu’aujourd’hui tout semble accroître. Cependant, avec son simple regard sur le réel, amplifié par sa voix, Pasolini est capable de briser par la forme et la liberté du regard qu’elle représente, qu’elle confère, toute possible aliénation, nous aidant à ne pas subir les images malgré nous. Dans une forme assignée au regard qui se répèterait à l’infini, Un seul de ses films, par le besoin qu’il porte d’altérité, un seul de ses poèmes, et nous pourrions relever la voie de son œuvre pour se rendre compte avec lui que nos corps n’ont pas changé, qu’il s’agissait d’une fausse idée de nos corps qui avait été installée par une virtualité canaille.

 

Au fond, ils ne pouvaient pas changer si l’on se souvient ce qui disait Ungaretti comme poète, c’est-à-dire comme oracle, à un autre poète : « chaque homme est fait différemment… disons, dans sa… structure physique, il est fait différemment, fait différemment aussi dans sa configuration spirituelle ».

 

Bibliographie

 

Geneviève Calame-Griaule, Ethnologie et langage : la parole chez les Dogon, Paris, Gallimard, 1968, p. 27.

Viktor Chklovski, Boris Eikhenbaum, Les formalistes russes et le cinéma, poétique du film, Paris, Nathan Université, La Poétique du cinéma, 1996.

Gilles Deleuze, Cinéma, L’image-mouvement, Paris, Éditions de Minuit, 1983, Tome 1, Introduction.

Umberto Eco, La Structure absente. Introduction à la recherche sémiotique, traduit de l’italien par Uccio Esposito-Torrigiani, Paris, Mercure de France, 1972, p. 219.

Harold Entwistle, Antonio Gramsci. Conservative Schooling for Radical Politics, Abingdon, Routledge, 1979.

Antonio Gramsci, Cahiers de prison, R. Paris (éd.), t. III, Paris, NRF Gallimard Coll. Bibliothèque de philosophie, 1978, Cahier 12, § 1, p. 33.

Simon Kim, « La poétique de la parabole chez Pier Paolo Pasolini : autour du film La Ricotta », ThéoRèmes [En ligne], 10 | 2017. URL : journals.openedition.org.

Alain Naze, Portrait de Pier Paolo Pasolini en chiffonnier de l’histoire : Temps, récit et transmission chez W. Benjamin et P.P. Pasolini -, Paris, L’Harmatan, Volume 2, 2011, p. 18.

Pier Paolo Pasolini, Écrits corsaires, Paris, Flammarion, 2009.

Pier Paolo Pasolini, Contre la télévision, traduit de l’italien par Caroline Michel et Hervé Joubert-Laurencin, Les solitaires intempestifs, Besançon, 2003, p. 100.

Pier Paolo Pasolini, Confessions techniques, Toutes les œuvres pour le cinéma, Milan, Arnoldo Mondadori, volume 2, 2001, p. 2773.

Pier Paolo Pasolini, Il cinema e la lingua orale, Empirismo eretico, Garzanti Libri, Milano, 2000, p. 266.

Pier Paolo Pasolini, Thétis, traduit de l’italien par Dominique Noguez, Paris, in Revue d’Esthétique Nouvelle, série Nº3, 1982, p. 8.

Pier Paolo Pasolini, Théorème, Paris, Gallimard, 1978, coll. Folio, n°1949.

Pier Paolo Pasolini, Lettere luterane, Torino, Einaudi, 1976, p. 71.

 

Notes

 

[1] Mort à Venise sorti en 1971. Avec son sujet austère a été un beau succès qui a su traverser les âges pour devenir un film culte. Par opportunisme, qu’aurait imaginé L. Visconti avec la pandémie actuelle, celle de la Covid 19 ? Théorème sorti en 1968 et ressorti en 2010 - Film mystique à plus d’un titre de P.P. Pasolini qui réserve une expérience cinématographique hors du commun, mais qui aura cette étiquette : difficile d’aimer un film que l’on ne comprend pas.

[2] La notion de chef-d’œuvre attendu est là parce que le public en son entier connait les réalisateurs et vont voir leurs films avec cette idée préconçue qu’il ne peut s’agir que d’un chef-d’œuvre venant de ces artistes réalisateurs. À la sortie c’est le désappointement et pour le chef-d’œuvre il faut attendre 25 années en moyenne.

[3] La langue écrite de la réalité.

[4] Inutile d’entrer dans les détails filmés qui vont d’Accattone (1961) à Salò (1975), en passant par une suite de réflexions techniques et de styles qui donnent aux écrits de ce réalisateur sur le cinéma, y compris à la lecture des scénarios ou des écrits préparatoires, un bonheur infini.

[5] Il y a dans ses films cette révélation dont les scénarios d’Accattone, de Mama Roma, ou les documentaires de style direct avec Comizi d’amore, Sopralluoghi in Palestina per il Vangelo secondo Matteo.

[6] Des films comme Il Vangelo secondo Matteo, Edipo re, Medea, ont besoin d’une régie conventionnelle dont la capacité à surmonter les problèmes ne dépend que des ressources et de l’expérience.

[7] En italien dans le texte : « odioso nei suoi misteriosi appostamenti tra le nubi, nelle suoi prematuri tramonti ».

[8] Traduction : « Dans toute cette matière complexe et malodorante dans ses éléments incommensurables qu’un réalisateur a devant lui, il y avait le risque, je ne dirai pas de l’échec, de la surdité, mais du ridicule, du douloureux, de la honte. J’ai dû surmonter cette question en trouvant à chaque instant le moment de la sincérité, ou plutôt de l’expressivité. ».

[9] Traduction : Notes pour un film sur l’Inde, Notes pour une Orestiade africaine.

[10] Isidore Isou, 1925 Roumanie/2007 Paris, théoricien, Le problème musical dans la pensée lettriste du dépassement poétique, par Antoine Chareyre, in Open édition, Recherches et travaux. Url : doi.org.

[11] Pier Paolo Pasolini : traduction en italien dans le texte : « L’immagine e la parola, nel cinema, sono una cosa sola : un topos. Dipende dall’ubicazionne dello spettatore percepirla come una cosa sola o una cosa (poco o molto) divisa e dissociata. ».

[12] Réjane Hamus-Vallée est professeure des universités au sein de l’Université d’Évry/Paris Saclay, spécialiste de la question des effets spéciaux au cinéma, et Olivier CAÏRA, maître de conférences en sociologie au Centre Pierre Naville (Université d’Évry/Paris Saclay).

[13] Les nombreuses critiques parues dans des revues, parmi lesquelles se distingue surtout Cinéma nouveau et le numéro hors-série des Cahiers du cinéma, Pasolini cinéaste, datant de( 1981) et l’importante correspondance avec Franco Fortini, réunie dans Attraverso, Pasolini, interrompue en( 1966) ; à cela, nous pouvons aussi ajouter les publications comportant  les scénarios de ses films.

[14] En italien dans le texte « vilipendio di sentimento religioso ».

[15] Pier Paolo Pasolini, La Ricotta, 1963, Réalisateur du court métrage, 0h35, un des sketchs du film Rogopag, avec Orson Welles, Mario Cipriani, Laura Betti.

[16] Pier Paolo Pasolini, Salò, ou les 120 journées de Sodome, 1975.

[17] Traduction : Mieux vaut être un ennemi du peuple qu’un ennemi de la réalité...

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