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Une forme de réalité sociale qui s’appelle l’erreur / Sous la direction de Bernard Troude / Vol.19 N.3 2021

L’erreur est humaine : peut-elle exister, aussi, dans les sciences de l’art numérique ?

Kaïs Bouattour

magma@analisiqualitativa.com

Université de Sfax, Arts et Métiers et Panthéon Sorbonne Paris 1, Doctorat en Sciences de l'art et Images, Professeur Docteur.

 

Abstract

Participons-nous en Art traditionnel et en Art numérique aux intelligences créatives et réactives ? Voilà une métaphore sur ce sujet: nous ne sommes que rarement intéressés et interrogés, mais savez-vous qu’avant même de taper dans une balle - la lancer ou la retourner - la définition de son trajet déterminera une courbe une courbe bien estimée et caractérisée par sa forme, son volume : courbe nommée parabole. En fonction de votre force exercée et de la direction du lancer, les deux éléments fondamentaux, vous serez à même de situer et remplir l’objectif en atteignant le point désiré sur la surface. Cette question du déplacement volontaire ou involontaire d’un volume n’est qu’un exemple de situation où l’on peut souhaiter appréhender les phénoménologies physiques, et percevoir une évaluation des lois qui les régissent. Dans un silence désacralisé, observons le pommier, mais aucune pomme ne tombe. Suis-je dans l’erreur ou dans la vérité ? C’est un pari à soumettre avec les sciences de l’art et de la modélisation.

 

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Participons-nous en Art traditionnel et en Art numérique aux intelligences créatives et réactives ? Voilà une métaphore sur ce sujet : nous ne sommes que rarement intéressés et interrogés, mais savez-vous qu’avant même de taper dans une balle - la lancer ou la retourner- la définition de son trajet déterminera une courbe une courbe bien estimée et caractérisée par sa forme, son volume : courbe nommée parabole. En fonction de votre force exercée et de la direction du lancer, les deux éléments fondamentaux, vous serez à même de situer et remplir l’objectif en atteignant le point désiré sur la surface. Cette question du déplacement volontaire ou involontaire d’un volume n’est qu’un exemple de situation où l’on peut souhaiter appréhender les phénoménologies physiques, et percevoir une évaluation des lois qui les régissent. Dans un silence désacralisé, observons le pommier, mais aucune pomme ne tombe. Suis-je dans l’erreur ou dans la vérité ? C’est un pari à soumettre avec les sciences de l’art et de la modélisation.

 

Mon attente attentive et attentionnée est-elle une erreur, origine d’un écart de la vérité ? Ou bien : serait-elle un obstacle conduisant au « Vrai » ? Des principes établis, depuis l’avènement de la physique moderne et beaucoup plus récemment les Datas et les I.A. font admettre encore aujourd’hui de comprendre et prévoir la grande majorité des phénomènes qui nous enclosent et nous déterminent. Un premier principe est qu’à tout lieu et à tout instant, les mêmes causes auront les mêmes effets. Cette universalité des lois - de la physique et de la psychologie et de l’artistique - est au cœur même de la démarche des sciences prédictives et cela en Art comme en Mathématiques, comme en transformations picturales à partir du numérique.

 

À la recherche d’une vérité, faudrait-il prévoir échapper à la théorie et la loi - en admettant l’inexistence de « la solution parfaite » - pour ainsi confirmer l’inexistence de l’erreur injustifiée. En effet, repenser l’erreur pour qu’elle ne constitue plus un obstacle obstructif à l’esprit et pour qu’elle permette une approche du « Vrai ». Être dans l’erreur, vivre l’erreur, se satisfaire de l’erreur providentielle ? Je pose l’hypothèse suivante : La vie, elle-même, pourrait être une erreur possible permettant de progresser vers une vérité.

 

« Une personne qui ne s’est jamais trompée est une personne qui n’a jamais rien essayé » (Albert Einstein).

 

Depuis les trente dernières années, des formes artistiques inédites sont exhibées, toutes fondées sur l’usage des technologies numériques : images de synthèse, dispositifs interactifs, multi et hypermédia, art en réseau... Industrie d’un art multiple. L’erreur dans ce présupposé serait ce mélange sinon cette cohabitation de Art et Industrie ? Quels chaos sérieux les technologies numériques introduisent-elles dans les modes de production, de diffusion et de conservation des œuvres, dans le marché de l’art, et dans le rapport souterrain mais crucial qui s’instaure désormais entre l’Art et les Sciences ? Comment envisager les liaisons entre l’art, la culture et la technologie à l’âge des industries numériques mondialisées ? L’erreur existe dans cet abandon du mode créatif sans aucune préparation sinon que des visions neurologiques de certaines images. L’art numérique serait-il l’art de l’hybridation par achèvement ? Cependant qui parle d’hybridation confirme le sujet avec de multiples métissages, de carrefour d’idée et d’exploitation de données différentes d’un art traditionnellement exécuté. Ce qui peut se comprendre ainsi : chaque entité de l’hybridation peut être une source d’erreur à exploiter. Nous avons de bonnes références en littérature des arts quand Edmond Couchot considère avec opportunité les modes opératoires des arts numériques, évoquant le passage d’une « esthétique de la participation à une esthétique de l’interactivité » qui « change en profondeur les relations entre l’œuvre, l’auteur et le spectateur » (Couchot, 2001).

 

Ces principes, appliqués à des situations particulières, donnent lieu à des corrélations portant sur des capacités dépendant de l’espace et du temps. Dans le cas du lancer, on peut par exemple connaitre la position tridimensionnelle de la balle en tout temps, en appliquant les principes de la mécanique énoncés au dix-septième siècle par Isaac Newton (1642-1726). Il se trouve que, dans le cas général de tous les Arts ces rapports relient non pas les quantités directement, mais leurs variations en fonction du temps et/ou de l’espace. On les appelle en mathématiques des Équations aux Dérivées, en Sciences de l’Art des œuvres instinctives. Cela peut résumer ce que la communauté scientifique a compris des phénomènes, et intègre donc une potentielle erreur de "compréhension" qui est liée au cerveau humain, à nos façons de voir le monde, aux limites de la connaissance actuelle, à nos potentialités d’exécution. Notre compréhension du monde permet-elle de tout mettre en question ?

 

Il n’est pas question de tromper et/ou à endormir mais plutôt « avertir et réveiller ». Investigations, informations et reconnaissances concernant le milieu, nos espaces, et la sensibilité du sujet. Un simulacre qui se dévoile pourrait se dévoiler pour offrir les possibilités cachées d’une réalité alors que la destinée sera de prévenir de l’erreur en distillant une quantité affaiblie et restreinte d’erreur pour engendrer la vérité. Considérons par-là qu’il ne peut y avoir de mensonge utile, les grands philosophes ont tous décrété qu’un mensonge ne pouvait être qu’inutile à toute société. Dans une pratique plastique, il importe de déterminer le fait brut et le fait artistique, le fait technique et le fait Art.

 

Avec les recherches qui se produisent, certains résultats subissent des retouches parce que se pressent ce qui peut être souhaité tout en ayant compris le risque existant d’erreurs : celles-ci (retouches) vont être de deux sortes ; les unes sont dans une systématique et ne pourraient se relever puis améliorer qu’après une étude plus approfondie de tous les gestes ; les autres sont de l’ordre accidentel, l’aléatoire dans toutes les combinaisons, et l’artiste les approuvera en les accommodant à l’espace et la surface du moment.

 

Nous restons évidemment dans le cadre du schéma transducteur, tel que Jean Devèze l’a présenté en 1989 et tel que nous l’avons-nous même étudié dans l’étude des « pièges à concepts ». Les logiciels graphiques permettent simplement d’aller plus vite dans leur conception et leur réalisation, parfois en réduisant considérablement la chaîne éditoriale traditionnelle pour offrir à l’auteur la possibilité de dessiner (assisté par la machine) le type de représentation qu’il estime le plus adapté. Naturellement, il existe quelques risques d’erreurs graphiques ou sémiologiques, car l’auteur n’est pas forcément rompu aux vicissitudes de l’expression graphique, mais globalement, le gain de temps est manifeste, surtout si la fonction d’éditeur en profite pour se moderniser en retrouvant ses côtés artisanaux (le travail de mise en forme, de présentation du texte en fonction de critères de lisibilité, de coût, etc.). En sciences de l’art comme en sciences mathématiques, l’une des finalités de la modélisation physique est donc d’écrire et de représenter des formes et des rapports révélant au mieux les phénomènes observés. L’étude de ces représentations et l’appréciation avec une approximation de leurs solutions est ensuite une affaire de ressentis, de persuasions, de perceptions mathématiques. Même en art, il nous faut évaluer, limiter et absorber mentalement les zones, les contours, les aléas etc.

 

Une image que je pensais connaître me contient dans mon périmètre synesthésique ouvrant en moi de nouvelles énigmes : « Inquiétude du contact entre cette image et le réel » (Didi-Hubdermann, 1990) entre image et mon corps, mes histoires et mes environnements. Il me faut regarder et critiquer, puis mon regard m’aide à modifier mes jugements. Cette adaptation aura besoin d’être soutenue, mise dans la situation précise prévue par l’expérimentation tout en conservant l’étude de la matérialité de l’image demeurant le fil rouge de ma démarche. En outre, les sciences cognitives aideront à comprendre ces processus tout en se gardant d’une vision réductionniste. La coïncidence entre pensée scientifique et création artistique peut dorénavant être envisagée dans une perspective beaucoup plus précise dont l’enjeu essentiel serait une intellection en profondeur des processus de création, de réception et d’interprétation de l’œuvre d’art. J’ajouterai pour ma part : il s’agit simplement d’une délusion [1] perceptive qui obsède.

 

Dans cette conception, l’erreur serait cette option de négativité au sujet des relations entre le concepteur, l’observateur et l’utilisateur des médias numériques pour les médias sociaux. Tous ces espaces, comme il est concevable, sont des intervalles avec de possibles erreurs, celles-ci étant dans des temps de rapidité d’exécution parfois incontrôlables. Il ne faut pas non plus entériner les influences négatives sur les statuts comportementaux et les attitudes prises par les créateurs et les promoteurs inventifs de ces systèmes. Par exemple un artiste - disons ‘‘classique’’ ou ceux et celles des sciences de l’art - ne peut se laisser capter dans ses attentions en s’éloignant volontairement des interactions sociales saines et authentiques. Par-ci par-là, nombres sont ceux qui en appellent à des périodes de ‘‘sevrage’’ favorisant les émergences de concept afin de se sortir d’une forme d’addiction. L’utilisation de ce terme venant du champ sémantique de la corrélation - l’addiction - ne peut étonner ou déconcerter. En corolaire, depuis plus de dix ans, l’idée d’une addiction à l’internet, aux travaux qui en découlent, poussée par quelques exégètes dont des enseignants trouve un écho dans l’audience ordinaire. Cependant qui est dans le vrai ou qui est dans l’erreur pour ne pas approfondir et surtout essayer de stopper le sujet de la révolution numérique ?

 

La création d’un Trouble de l’addiction - aux univers du numérique et des intelligences artificielles (jeux vidéo, création en tout genre, design numérique etc.) - est une conséquence de cette diffusion expansive et incessante de la malfaisance neurologique. Pourtant, les preuves d’une addiction aux média numériques restent aussi faibles et erronées que celle d’une addiction aux produits toxiques - si nous pouvons nommer la télévision, le cinéma, les jeux vidéo et les enseignements pluridisciplinaires – comme produits nuisibles aux santés mentales [2].

 

Les études mettent souvent en exergue un élément important de la dépendance aux numériques et aux écrans : les acteurs en création ou jeux ou médias socio qui exposent une corrélation comportementale ont une prédilection attentionnelle en faveur des talents et des produits dérivés relatifs à leur sujet de dépendance. Une personne présentant une addiction aux alcools aura par exemple tendance à accorder davantage de concentration et de réflexion aux objets relatifs à ce sujet. Ce biais attentionnel est-il compris et mis en avant avec les médias sociaux ? Pour répondre à ces interrogations, j’ai souvent présenté aux participants de mes expositions, mes études d’images de représentation d’objet et en leur demandant de trouver le plus rapidement possible une application afférente à ces dits objets. Parmi les applications visibles, les publics concernés ont inséré presque aussitôt des applications comme Facebook, Twitter ou Instagram.

 

Le but de mes sollicitations fut d’évaluer si les personnes qui se déclare être des utilisateurs ou des utilisatrices passionnés de média numériques présentent un biais attentionnel envers les applications sociales ou artistiques présentées. Les cas se sont présentés, voulant ainsi exprimer que chacun partage, avec les personnes qui ont une communauté de pensée, le même processus comportemental. Cela serait un élément en faveur d’une addiction aux réseaux numérisés spécifiques en fonction des connivences d’utilisation de ladite application. Les résultats n’ont pas confirmé cette hypothèse mais l’aboutissement aura été de faire prévaloir que toute expérience confirme les éléments ayant pu faire poser la question de la dépendance. C’est pourquoi il est juste de dire que, « en seulement vingt ans, la plus grande partie des activités humaines s’est déplacée dans les mondes numériques, et le développement des ordinateurs personnels, l’Internet et la téléphonie mobile ont radicalement changé notre relation avec le monde ».

 

Car, avec la technologie, il n’a jamais été question d’autre chose que de notre relation avec le monde. C’est ce que nous montrerons tout au long de cette recherche : notre rapport-au-monde est fondamentalement conditionné par la technologie, et l’a toujours été. La révolution numérique n’est pas un commencement, mais un recommencement. Un recommencement phénoménologique ou « ontophanique ». Et nous entendons le démontrer, c’est notre ambition, à travers « une véritable étude de philosophie des techniques » qui dépasse d’emblée la séduction fascinante ou la crainte respectueuse généralement attachées à l’Internet et aux nouvelles technologies. Certes, les sciences sociales n’ont pas attendu la philosophie pour s’y intéresser et ont produit jusqu’ici de nombreuses études sur le numérique. Mais il s’agit maintenant d’en donner un traitement philosophique. Parce que la philosophie, dans son essence même, est concernée par la technologie.

 

Il est temps qu’elle consente, en intégrant les résultats empiriques des sciences sociales, à devenir onto-anthropologique. Peut-être comprendra-t-elle alors que le concept de « technique » lui-même est dépassé, parce qu’il porte l’idée substantialiste que la technique serait, à côté du monde des sujets, un royaume des objets. Les philosophes de la technique, hélas, nourrissent encore souvent cette illusion en parlant obstinément des « objets techniques », comme si seuls les objets étaient techniques. Or, non seulement « les produits de la culture matérielle ne sont pas des objets passifs mais des médiateurs de croyances, de représentations, d’habitudes et d’agences » d’où l’intérêt de parler de culture matérielle plutôt que de technique -, mais encore c’est l’être lui-même qui est technique. Dès lors, nous le verrons, la révolution numérique fonctionne comme une révélation numérique : elle nous fait découvrir que la question de l’être et la question de la technique sont une seule et même question.

 

Parce que, si cela a toujours été vrai, cela n’a pas toujours été visible. Pour le saisir, il a fallu attendre que les technologies numériques nous apportent des perceptions d’un monde inconnu - Tout comme la physique contemporaine nous avait apporté des messages d’un monde (Darras, Belkhamsa, 2009).

 

Ces perceptions inouïes, que nous tentons depuis les années 1970 d’intégrer plus ou moins bien dans le plan de nos habitudes phénoménologiques, ce sont celles qui proviennent des appareils numériques. En rupture totale avec la culture perceptive établie, ces perceptions nouvelles donnent accès à des Êtres que nous n’avions jamais vus auparavant et à la réalité desquels nous peinons à croire. Ces êtres, ce sont tous ceux qui émergent de nos écrans et de nos interfaces et qui, non sans un certain vertige perceptif, bouleversent l’idée que nous nous faisons de ce qui est réel. Comme le souligne Yann Leroux, « Internet impose de réfléchir sur ce que nous appelions jusque-là sans trop y penser “la réalité” » (Leroux, 2010). En particulier le rôle du design dans la constitution créative de l’ontophanie numérique.

 

En tant que mouvement phénoménotechnique, le design est non seulement une activité créatrice d’ontophanie, mais encore une excitation intentionnellement factitive, c’est-à-dire qui vise à faire-être autant qu’à faire-faire, en vue de propulser un charme du monde. C’est pourquoi le design numérique, parce qu’il a la capacité de générer de authentiques régimes d’expériences interactives inédites, a pu jouer un rôle nécessaire et fondamental dans le modelage de la mutation numérique.

 

Et la question devient alors intensément philosophique. Que dire en effet de l’être d’une chose à la fois sensible et intelligible qu’est une icône de menu dans une interface numérique, un avatar sur un site de réseautage social ou un personnage virtuel dans un jeu vidéo ? Est-ce la même chose qu’un morceau de cire ? Ou bien s’agit-il plutôt d’un morceau de matière-esprit ? À moins que ce ne soit une de ces réalités qu’on appelle « virtuelles » ? Mais que se cache-t-il derrière ce qu’on nomme « virtuel » ? Quel est l’être des êtres numériques ? Et surtout, que font-ils à notre être ? Que devient notre être-dans-le-monde à l’heure des êtres numériques ? Telles sont les interrogations auxquelles nous devrons répondre et qui constituent aujourd’hui la question de l’être en tant qu’elle se confond avec la question de la technique.

 

Les personnes qui persistent journellement et massivement sur ces réseaux ne présentent pas obligatoirement de biais attentionnel en faveur des médias numériques [3]. Cette recherche est raisonnable à deux égards. Tout d’abord, elle apporte un élément important à la discussion sur les compléments numériques. Elle montre que les utilisateurs intensifs ayant un biais attentionnel ne partagent rien avec les personnes qui auraient une addiction ou un trait caractéristique de cette addiction. Ce résultat montre aussi que nous devons faire attention à ne pas pathologiser des comportements, même lorsqu’ils peuvent apparaître extrêmes et immodérés.

 

Cela ne signifie pas non plus que l’emploi excessif de médias numériques n’est en aucun cas contestable. Dans certains cas, les personnes rapportent une compulsion à jouer ou à lire des médias (sociaux, jeux, découvertes, contrôle de connaissances) comprenant des déroulements préjudiciables dans la sphère synesthésique personnelle ou professionnelle. Mais avec ma recherche, il est suggéré qu’une forme de dépression ou d’anxiété sont éventuellement des éléments sous-jacents à ces situations compulsives. Ici, je n’ai pas à revenir sur un sujet qui est du ressort d’un diagnostic probablement psychiatrique ou psychologique ; ce serait une erreur fondamentale que d’exprimer une contre-indication ou une approbation sans faille.

 

En montrant que les personnes utilisatrices de ces applications issues du numérique (les médias sociaux, les jeux de création, les jeux mis et exécutés en communauté, les design) ne présentent pas de biais attentionnel en faveur de ces divers éléments. Cette même recherche montre que les utilisations même excessives, même compulsives, ne correspondent à aucune des caractéristiques communes aux dépendances. De ce fait, cela suggère que l’utilisation des techniques du numérique ne devrait pas être pensée en termes d’addiction pour tout officiant, quel que soit son âge.

 

Art du numérique : une erreur d’approximation

 

D’un point de vue artistique, une œuvre numérisée, dès la première étape une fois la mise en connexion effectuée, consiste à donner un sens à cette relation : c’est-à-dire à définir un contexte dans lequel l’artiste souhaite la résoudre. Plusieurs modélisations approximatives présentées par la numérisation et non le cerveau de la personne se dévoilent promettant à chaque instant des ouvertures vers une complexité faisant œuvre d’art. Pourtant voilà que l’instinct artistique s’en mêle au point de contrefaire ou ne pas se laisser absorber par les logarithmes et ne pas choisir un quelconque résultat intermédiaire. Comme dans toute question posée, la réponse peut être une erreur. Revenons un instant sur l’exemple du début de la trajectoire de la balle. Notre prémonition nous fait sentir que si on décoche la balle, elle va inévitablement arriver au sol en un point et nous pensons en passant par une ligne résolue. C’est ce qu’on appelle une solution dans la normalité. Il est rassurant de savoir qu’il est possible, grâce à des déductions logiques, d’indiquer la prédétermination d’une telle solution puisque matériellement nous pressentons que ce sera le cas. Maintenant posons-nous la question : plusieurs directions et dynamismes initiales existeraient-ils qui permettent d’ajuster un endroit donné et pour un artiste de visualiser ce qu’il recherche en deux plans ou en volume, en réalité ou en virtualité ?

 

Essayons donc dans une réalité acceptée de commettre l’erreur dépendant d’un fait imaginé par la solution avancée et prévue ? Et c’est précisément dans l’erreur d’approximation, de celle des artistes, comme des regardeurs, qui fait nous illusionner sur une quelconque suffisance d’un art numérique, sur une technologie envisagée, pensée comme une habileté artistique, que réside l’effacement de cet acte décisif et le trouble qui entoure toute système en création y compris en numérique. Mais, la technique ne peut pas être sa propre médiation. C’est en pensant ainsi la dilution de la fonction de médiation dans la technologie et en considérant à tort que la technique contient et assure sa propre médiation que les arts numériques réduisent les réalités d’une critique à une astreinte indispensable. L’idée est que la dissolution de toute critique disparaissant elle-même de et dans l’art numérique la fera se soustraire de sa position d’élément de médiation dans l’exécution d’une œuvre numérique. Les acteurs de la photographie, du cinéma, de la vidéo, des spectacles vivants, donc tous ces arts dits contemporains, procèdent de plus en plus avec ces technologies, se réveillent et s’excitent et se transforment aux contacts de ces nouvelles technologies devenues nouveaux matériaux.

 

Les connaissances ajoutées aux méconnaissances des systèmes font que toute personne réfléchissante fera ses choix en fonction d’un moment, d’une disponibilité momentanée de ses esprits déterminant dans le processus des éléments fondés, infondés ou totalement traverses. Éléments dénonçant une facture d’erreurs reconnues à rejeter ou à compromettre dans l’œuvre en gestation. De toutes ces erreurs, pour la plupart non dénoncées juste évaluées, une historicité de cet art numérique peut être enregistrée. Se dressera alors un panorama des auteurs un panorama mondial et en révélera les nouvelles tendances. L’analyse pointant les raisons qui ont fait le maintien hors champ d’une apparence "officiel" va souligner ce qui fait rupture et continuité avec les objets, les fonctions, les supports et les territoires antérieurs de l’art.

 

Nous serait-il possible d’entrer en contact immédiat avec la matière-lumière, de dévoiler des sensations et des émotions issues de ce rythme alternatif entre corps, instant et correction à travers les technologies numériques ?

 

Le numérique, en tant qu’outil de création artistique, nous donne la possibilité de capter, saisir et/ou transformer en s’aidant d’une souris ou en saisissant le mouvant par des capteurs ce qui rend possible une visualisation de toute transformation dans l’immédiateté. Il importe de noter que les interfaces et les programmations numériques donnent accès à la matière digitale permettant ainsi une orientation vers une esthétique de la participation et de l’interaction directe.

 

Toutefois, elles sont aussi des outils d’interprétation immédiate - au travers un instant interférant et fugitif - d’une multitude de paramètres à conséquences visuelles dans la mesure où elles constituent un langage virtuel permettant des visualisations d’une certaine représentation perceptive des aspects physiques des corps. Néanmoins, il s’agit d’un langage qui pourrait engendrer une distanciation de la matérialité des objets physiques et tangibles. Le développement des dispositifs numériques, dont l’objectif est la stimulation de la matérialité des corps conduit à des modes d’interaction avec les interfaces mises en œuvre et les corps dotés de fonction à la fois visuelle et  tactile (en ce sens, il est possible d’évoquer une certaine dimension haptique).

 

En effet, les modalités rationnelles et abstraites de la technologie numérique seront sans aucun doute ce mode d’accès pour toute création produisant des déviations sensitives. Tout langage algorithmique, dont l’origine est une réflexion d’ordre conceptuel, traduit une présence sensorielle à destination d’une perception invoquant les émotivités. Les deux modes - l’intelligible et le sensible - se voient ici assemblés. L’interaction avec les interfaces, le clavier, la souris et les capteurs permet une approche des corps par la matière-lumière ; une insertion au sens plastique pour une intégration des corps en effectuant des passages entre des faits artistiques et des faits techniques. S’agissant ainsi d’une interactivité donnant la possibilité d’une appropriation des objets intelligibles et tactiles qui s’affichent selon des paramétrages différents et variés. L’artiste entre dans des relations de corps à corps dans cet environnement de l’interactivité…

 

Le nouvel esprit technologique et les erreurs traitées

 

« (…) Pour moi, l’ordinateur est l’outil le plus remarquable que nous ayons inventé. C’est l’équivalent de la bicyclette pour l’esp rit ! » (Krainin, Lawrence, 1990) (Steve Jobs 1990).

 

Vouloir se saisir de la structure de la révolution numérique consiste d’abord à analyser son cosmos véritable. Les spécificités des technologies numériques, devenues prépondérantes et incontournables dans les créations artistiques contemporaines, engendrent une mise en évidence des moyens de perception de notre environnement dans toutes ses dimensions (microcosmiques et macrocosmiques). Percevoir « les profondeurs », c’est vouloir s’engager dans une liaison avec une conception globale du monde technologique et l’Être créatif. C’est aussi vouloir aborder tous les sujets car impossible d’appréhender la mutation numérique tant que nous ne la placerons pas dans le mouvement d’ensemble de l’évolution des techniques, dont elle est à la fois une étape et un point dominant. Ce choix exprimé pour de multiples applications offre des possibilités d’erreur inconnue que seule cette technique peut émettre. Si la perception exige un temps d’inertie, elle serait dans ce cas une forme de négation de toute situation mouvementée, sonore ou insonore. Une étape, parce que la révolution que l’on dénomme numérique n’est en tout cas que l’ultime venue des révolutions techniques, après celles de la révolution mécanisée ayant débutée au XIXème siècle et de la révolution pré-machinique expansée tout au long du XXème. Puis, les suivantes à reconnaître. L’un des enjeux de cette évolution importante st celui du passage d’une esthétique de la participation et du partage à une esthétique de l’interactivité qui pourrait être définie comme la transgression de cette inertie invisible . En occasionnant une instruction, tout mouvement suscite des résultats lorsque les sens traduisent sur un temps des résultats visuels sensibles, des transcriptions suivant le trajet du virtuel au réel et/ou du réel au virtuel ; virtuel dans l’espace entre cognition et un « support » de visualisation permettant la concrétisation d’une image apparente ou non à une image mentale.

 

Me référant à Ernst Hans Gombrich qui a expliqué que « la perception implique l’engagement dans un rythme analogue à celui de la représentation » soit un rythme d’alternance entre les corps physiques et la correction (Gombrich, Warburg, 2015). Nous soulignons que la perception qui se développe dans cette entité d’hybridation consisterait à s’engager dans un rythme hyper connecté et d’alternance entre le Corps conçu, l’inertie dans un instant interférant et la correction. En parlant de correction, sommes-nous en mesure d’affirmer l’existence de l’erreur comme condition d’établir le système perceptif en question ? L’inertie dans l’instant interférant et fugitif, serait-elle l’erreur persistante dans ce dispositif perceptif ? Si la réponse est oui, elle serait dans ce cas l’erreur omniprésente formulée en un obstacle dissimulé à toute fluidité absolue Le regardeur réalise cette jonction entre mental et corps physique visible afin de borner l’instant permettant de visualiser précisément au point d’un accolement où les Mondes semblent s’ajuster les uns aux autres. En conséquence, face à ces bouleversements aussi démesurés que surprenants, ce n’est pas s’apaiser dans nos vocables que de parler de ‘‘révolution numérique’’ comme tout un chacun peut le concevoir. Mais encore faut-il se demander en trois questions de quoi cette révolution numérique est LA révolution, ce que tout le monde ne pense pas.

 

Pourquoi caractériser en effet la perturbation technologique dans laquelle nous vivons en termes de « Révolution » ? : qu’est-ce qui exactement se renverse et se bouleverse, se réforme et se transforme dans la « révolution numérique » pour tout et en particulier pour les Sciences de l’Art ? ; s’agit-il simplement d’une étiquette descriptive dans le courant d’une mode, fondée sur l’observation de l’accélération du réseau Internet depuis vingt ans, ou bien faut-il y voir l’intuition d’un concept plus profond, dont la portée théorique aurait un dessein philosophique ?

 

Dans cette appréciation, j’entends amener à penser que la mutation numérique est un événement ayant une raison philosophique et, tout comme Bachelard écrivait en 1934 que « la science crée en effet de la philosophie » (Bachelard, 1991). J’entends exprimer plus généralement que créer avec de la technologie cela crée de la philosophie. Par-là, je veux dire que les dispositifs numériques - design numérique entre autres - comme tous les dispositifs techniques globalement sont des postulats matérialisés du réel ou des philosophies réifiées de la réalité. Intervalles existants mentalement suscitant des niveaux d’erreur éventuelle et encore ignorée. Je ne veux pas uniquement deviser, comme a pu l’articuler autrefois G. Simondon, que « ce qui réside dans les machines, c’est de la réalité humaine, du geste humain fixé et cristallisé en structures qui fonctionnent » (Simondon, 2001). Cela va beaucoup plus vers un autre point de vue : cela veut articuler que les procédés techniques incarnent et ayant toujours été des « Machines philosophiques » soit des modalités de possibilité du réel ou des conceptrices de réalité. Le vrai nom, sans erreur possible, est bien celui de matrices ontophaniques, c’est-à-dire des structures à images mémorielles à priori de la perception authentiquement datée mais culturellement transitoires et éphémères. Cette expression vint d’un auteur à qui je l’emprunte : Jean-Claude Beaune affirme que « l’automate est une machine philosophique ! » (Beaune, 1980).

 

En conclusion

 

« Il s’agit à présent de comprendre que même la situation fondamentale de l’être humain, qui porte le nom d’être-au-monde et se caractérise comme l’existence ou comme le fait de se tenir à l’extérieur dans la clairière de l’Être, constitue le résultat d’une production dans le sens originel du terme » (Sloterdijk, 2000).

 

La réponse est donc positive quant à la question initiale : l’erreur est humaine. Peut-elle exister, aussi, dans les sciences de l’art numérique ?

 

Comme a pu être expérimenté le mouvement et le développement, plusieurs buts et dynamismes connectés permettent de convoiter un endroit donné. Par contre, si l’artiste se lance plusieurs fois de suite avec la même force et la même direction initiales, il arrivera toujours au même endroit avec des résultats identiques mais, et c’est d’importance, comportant de légères différences. Et heureusement pour le dialogue personnel entre le cerveau et le corps ! C’est précisément cette propriété que l’on appelle "unicité" d’un point de vue mathématique. Plus généralement, l’existence, l’unicité et la mise en évidence d’un ensemble de propriétés sur des modèles physiques dont la conservation de certaines quantités : pas de perte ni de création d’énergie, symétrie de la solution ... ce qui constitue un axe de recherche en sciences de l’art numérique tout comme en sciences mathématiques. Il est intéressant de souligner que, même pour certains problèmes physiques représentant des phénoménologies qui peuvent sembler relativement simples car familières, l’existence de solution pose toujours problème vu que cela peut englober des formes d’erreurs non prévisibles. Avis aux amateurs et amatrices quant aux exécutions d’œuvres et à leurs multiplications (cf : Walter Benjamin et le constructivisme phénoménologique 1933[4].

 

C’est pourquoi, avec Bernard Darras, la situation décrite est la suivante : « en seulement vingt ans, la plus grande partie des activités humaines s’est déplacée dans les mondes numériques, et le développement des ordinateurs personnels, l’Internet et la téléphonie mobile ont radicalement changé notre relation avec le monde » (Darras, 2009). Car, avec toute la technologie développée, il n’est jamais question d’autre chose que de nos corrélations avec un monde de recherches et d’applications. C’est ce qui a été le sujet avec l’erreur possible même en instance numérique et montré tout au long de cette opinion : il est vrai, sans aucune erreur et mensonge possible, que ce rapport-au-monde est naturellement conditionné par la technicité et la technologie ; en fait pour des raisons différentes - comme l’arrivée de la vapeur en industrie ou la fée électricité dans tous les domaines - l’a toujours été. Les évolutions du numérique ne sont pas un prélude, mais une continuation : une répétition phénoménologique ou « ontophanique ». Et il m’a fallu le faire comprendre y compris pour et dans mes travaux personnels liés au numérique, c’est une ambition, à travers « une véritable étude de philosophie des techniques » (Parrochia, 2007) qui dépasse tout de suite le sortilège captivant ou la crainte civilisée couramment reliées au Web et aux nouvelles technologies.

 

Certes, les sciences de l’art n’ont pas attendu la philosophie et la sociologie pour s’intéresser aux effets du numérique et de toute numérisation et ont produit jusqu’ici de nombreuses études sur le digital. Mais il s’agit maintenant d’en donner un traitement philosophique englobant vrai et faux, réalités et mensonges, erreur et malentendu : parce que la philosophie, dans son essence même, est concernée par la technologie, les nouvelles technologies, mêmes celles encore inconnues maintenant.

 

Bibliographie

 

Gaston Bachelard, Le nouvel esprit scientifique (1934), Paris, PUF, Quadrige, 1991, p. 7.

Jean-Claude Beaune, L’Automate et ses mobiles, Paris, Flammarion, 1980, p. 10.

Edmond Couchot, L’œuvre d’art et la critique, in L’université des arts, séminaire Interarts de Paris, 1999-2000, Paris, Klincksieck, octobre 2001.

Bernard Darras, Aesthetics and semiotics of digital design: The case of web interface design, actes du colloque : The First INDAF International Conference, Incheon, Corée, 2009, p. 11.

Bernard Darras, Sarah Belkhamsa, Les objets communiquent-ils ?, MEI « Médiation Et Information », n°30-31, Paris, éditions L’Harmattan, 2009, p. 7.

Georges Didi-Hubdermann, Devant l’image : questions posées aux fins d’une histoire de l’art, § S’inquiéter devant une image, Paris, éditions de Minuit, 1990.

Ernst Hans Gombrich, Aby Warburg, Une biographie intellectuelle, Prés. et trad. de l’anglais par Lucien d’Azay, Paris, Klincksieck, 2015.

Julian Krainin, Mickael R. Lawrence, Memory & Imagination : New Pathways to the Library of Congress, [ Documentaire TV], Michael Lawrence Films and Krainin Productions Inc.1990.

Yann Leroux, Psychodynamique des groupes sur le réseau Internet, Thèse de doctorat en psychologie sous la direction de Serge Tisseron, Université Paris X Nanterre, 20 décembre 2010, disponible à l’Observatoire des Mondes Numériques en Sciences Humaines, [Version PDF], p. 78.

Daniel Parrochia, L’Internet et ses représentations, in Rue Descartes, n°55 : Philosophies entoilées, Paris, PUF, 2007, p. 10.

Gilbert Simondon, Du mode d’existence des objets techniques (1958), Paris, Aubier, 2001, p. 12-15.

Peter Sloterdijk, La domestication de l’être, Paris, Mille et une nuits, 2000, p.19.

 

Notes

 

[1] Le Dictionnaire le "Grand Robert" définit le vocable comme suit : une « erreur fondée sur une perception » ou une « Opinion fausse, croyance erronée que forme l’esprit et qui l’abuse par son caractère séduisant ». L’acception du terme peut s’étendre dans la sémiologie psychiatrique pour prendre le sens d’une « notion de conviction délirante ». Dictionnaire Les Sceptiques de Québec :www.sceptiques.qc.ca. Dictionnaire Le Grand Robert : gr.bvdep.com.

[2] Une étude récente publiée en 2012 et 2019 dans le Journal of Behavioral Addiction reprend cette question sous un angle neuf.

[3] Par exemple, les personnes qui envoient ou travaillent avec plus de dix messages par jour sur Facebook ne peuvent pas être considérées comme perturbées dans leur attention par la présence de l’icône Facebook. L’absence de biais attentionnel est constatée même lorsque l’icône Facebook présente des notifications. Ils obtiennent des scores comparables à ceux des personnes qui ouvrent Facebook et postent un message par semaine.

[4] Les prémonitions concomitantes de Walter Benjamin, nous commandent à soutenir que toutes les techniques soient par conséquent une matrice ontophanique, dans laquelle se fond notre expérience-au-monde possible. Comme les primitives, la mutation numérique s’expose donc comme une révolution de nos combinaisons perceptives, dont la brusquerie phénoménologique consent au pouvoir d’explications de réussite et de perte du concept de virtualité. De cette dernière, une généalogie critique en ressort et nous désigne qu’elle n’a été jusqu’ici qu’une épreuve ratée de clarifier la phénoménalité numérique, en raison de l’utopie de l’irréel qu’elle infère.

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