Climat et GES

Comment faire confiance aux entreprises

C’est un planificateur financier qui m’écrit, contrarié. Les fonds communs verts, il s’en méfie. En fait, il ne fait pas confiance aux données que publient les entreprises sur leur empreinte carbone.

Sa réaction a suivi ma chronique intitulée « Vos placements polluent autant qu’un VUS », où je comparais le volume d’émissions de gaz à effet de serre (GES) de certains fonds communs et entreprises avec celui d’un VUS.

Lisez la chronique « Bilan des firmes de gestion : vos placements polluent autant qu’un VUS »

« C’est la méthodologie du calcul des émissions le problème. Les institutions n’utilisent pas toutes la même. Et les autorités réglementaires n’imposent pas de méthodologie pour le moment. C’est donc un peu n’importe quoi et il est extrêmement difficile pour le consommateur de s’y retrouver ou de faire confiance », m’écrit-il. Il me demande de garder l’anonymat, n’ayant pas eu l’autorisation de son employeur, qui vend notamment des fonds verts.

Son indignation, justifiée, tombe à point. L’organisme ISSB vient de publier des lignes directrices à ce sujet, qu’il soumet à une consultation publique jusqu’en juillet. Et si tout va bien, les normes sur la mesure des émissions de GES des entreprises en Bourse seront en vigueur dès la fin de 2022.

L’ISSB, c’est l’International Sustainability Standards Board, qu’on pourrait traduire par Conseil international des normes sur la durabilité. Il s’agit de cette organisation qui a récemment choisi Montréal et Francfort (Allemagne) pour établir ses deux principaux bureaux mondiaux. La venue de l’ISSB, orchestrée par Montréal International, a été faite lors de la récente COP26 sur les enjeux climatiques.

De passage au Canada, le président de l’ISSB, Emmanuel Faber, juge que la nouvelle norme apportera un langage commun. Elle sera fiable puisqu’elle sera auditée par des experts. Et elle permettra aux investisseurs, ultimement, de mieux tenir compte des risques climatiques dans leurs choix d’investissements.

« Les entreprises se demandent comment adapter leur modèle d’affaires face aux changements climatiques. Mais elles ont du mal à convaincre leurs actionnaires, car il y a peu d’informations fiables », m’explique Emmanuel Faber, ex-président de Danone, au cours d’un entretien téléphonique.

Pour l’instant, certaines entreprises en Bourse publient des renseignements sur leurs émissions de GES par million de dollars de valeur ou de revenus de façon volontaire. Elles se basent notamment sur les travaux menés par le groupe de travail sur les informations financières liées au climat (TCFD).

Les normes demeurent toutefois imprécises et incomplètes. Elles incorporent souvent les émissions de premier et de deuxième niveau – celles faites par l’entreprise elle-même –, mais pas celles de leurs fournisseurs. La norme ISSB proposera une norme commune par industrie pour les trois niveaux.

Et d’ici peu, les autorités des valeurs mobilières rendront la publication obligatoire. La Securities and Exchange Commission des États-Unis envisage d’imposer aux entreprises en Bourse la divulgation en 2024. En Europe, il est aussi question d’imposer en plus une norme aux entreprises privées (non cotées en Bourse). La Chine s’active aussi sur le sujet, explique M. Faber.

« Nous proposons qu’il soit obligatoire pour les entreprises de révéler leur empreinte carbone et que les acteurs établissent leur scénario climat. »

– Emmanuel Faber, président de l’ISSB

Les démarches de l’ISSB ne portent pas seulement sur les chiffres d’émissions de GES. Les entreprises devront aussi indiquer dans leurs états financiers jusqu’à quel point les changements climatiques – sécheresses, tornades, inondations, migrations, etc. – peuvent influer sur leurs affaires.

Elles seront également tenues, pour être certifiées, de dévoiler les procédures et les contrôles utilisés pour gérer le risque climatique, et assurer de la bonne gouvernance qui y est liée.

La nouvelle norme ISSB, de même que les exigences des autorités, ne contraindra pas les entreprises à réduire leurs émissions. Sauf que le marché financier sera en mesure de quantifier le risque climatique d’une entreprise par rapport à ses pairs et de lui attribuer une valeur moindre si les risques sont trop grands.

C’est justement ce qui est demandé dans le rapport du GIEC publié cette semaine. « Des approches financières innovantes peuvent aider à réduire la sous-estimation des prix liés au risque climatique », est-il écrit au chapitre 15.

Selon Emmanuel Faber, « les pressions des gouvernements et des banques à propos du risque climatique vont orienter l’allocation du capital vers des entreprises plus vertes ».

Cela dit, il n’est pas encore certain qu’une seule norme mondiale aura cours. Les Américains pourraient décider d’imposer leurs propres règles. « L’enjeu pour tous les acteurs mondiaux est de faire en sorte que nos normes soient complémentaires. Il faut éviter les chevauchements incompatibles », dit M. Faber.

Le défi du réchauffement climatique est énorme, mais on ne peut pas dire que le milieu des affaires reste les bras croisés. Et c’est encourageant pour la suite des choses…

Consultez le rapport Exposure Draft – Snapshot IFRS® Sustainability Disclosure Standards (en anglais)

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.