La nouvelle loi sur les marchés financiers rejetée

Par James Langton | 29 mars 2022 | Dernière mise à jour le 15 août 2023
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La nouvelle vision de l’Ontario en matière de réglementation des valeurs mobilières est rejetée par le public qu’elle espérait le plus satisfaire – Bay Street.

En janvier 2021, le groupe de travail sur la modernisation des marchés financiers de la province a publié un vaste ensemble de recommandations visant à rajeunir les marchés, à faciliter la formation de capital et à améliorer la concurrence dans le secteur, tout en renforçant la protection des investisseurs. La pièce maîtresse de cette vision, qui consiste à remplacer la législation traditionnelle sur les valeurs mobilières (et les produits dérivés) par une législation sur les plates-formes, a été rejetée par le secteur des placements.

L’automne dernier, le gouvernement a présenté sa proposition de nouvelle Loi sur les marchés financiers (LMF) pour consultation publique. À l’époque, le ministre provincial des Finances, Peter Bethlenfalvy, estimait que la modernisation de la législation sur les marchés financiers donnerait à la province « un avantage concurrentiel et jouerait un rôle essentiel pour attirer les investissements mondiaux, soutenir la croissance économique et l’innovation, et créer de bons emplois ».

Cependant, la consultation sur la nouvelle approche proposée a révélé des préoccupations au sein du secteur des services financiers et de la communauté juridique.

Au moment de la mise sous presse d‘Investment Executive, le gouvernement n’avait pas publié tous les commentaires reçus au cours de la consultation, mais les réponses des groupes de l’industrie et autres ont montré une forte résistance à la fois aux éléments spécifiques de la nouvelle législation proposée et à sa vision globale.

Le projet de loi du gouvernement modifierait l’équilibre entre la loi sur les valeurs mobilières, qui est supervisée par la législature, et les règles détaillées qui sont sous la direction de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO). S’inspirant d’une approche similaire adoptée en Colombie-Britannique, la LMF proposée vise à adopter une approche « fondée sur la plate-forme », en établissant de grands principes réglementaires dans la législation et en donnant à la CVMO plus de pouvoir pour créer des exigences détaillées.

L’objectif est de mettre en place un régime plus souple et plus réactif : la commission peut modifier ses règles plus facilement que le corps législatif ne peut adopter de changements, de sorte que les réformes peuvent être mises en œuvre plus rapidement lorsqu’elles sont entreprises par la CVMO.

Bien que le fait de faciliter l’adoption de réformes présente un certain intérêt pour l’industrie, les organisations se demandent s’il est nécessaire de mettre au rancart les lois actuelles sur les valeurs mobilières et les processus établis pour l’élaboration de la politique des marchés financiers.

L’Association canadienne du commerce des valeurs mobilières (ACCVM) affirme dans son mémoire appuyer l’idée d’une réglementation souple, mais met en doute « les avantages tangibles » de l’adoption d’une législation entièrement nouvelle pour atteindre cet objectif. L’ACCVM suggère plutôt que des révisions aux lois et règles existantes pourraient être accomplies « sans la perturbation du marché qui pourrait être causée par une nouvelle législation ».

Le nouveau régime pourrait avoir des conséquences imprévues, prévient le groupe professionnel, car l’industrie devra évaluer sa conformité et les entreprises devront réviser leurs politiques et procédures – et peut-être la documentation des clients – pour s’y conformer.

« Étant donné que le gouvernement met l’accent sur la réduction du fardeau, nous encourageons le ministère à poursuivre plusieurs des objectifs louables du groupe de travail par d’autres moyens, y compris les modifications nécessaires à la législation existante, avant de remplacer complètement la [Loi sur les valeurs mobilières] », soutient l’ACCVM.

L’Institut des fonds d’investissement du Canada (IFIC) s’est fait l’écho de ces préoccupations dans son mémoire, qui prévient que la législation proposée pourrait accroître le fardeau réglementaire et changer fondamentalement la façon dont la politique réglementaire est élaborée.

Le cabinet d’avocats Davies Ward Phillips & Vineberg LLP, de Bay Street, a été plus direct. « À notre avis, l’adoption du projet de LMF serait exceptionnellement coûteuse et ne serait pas du tout bénéfique », peut-on lire dans son mémoire.

Le cabinet assure que la nouvelle législation serait contre-productive, en soutenant que l’approche proposée « est plus susceptible d’augmenter le fardeau réglementaire, d’étouffer l’innovation et d’inhiber la croissance que d’avoir l’effet inverse ».

Il remet également en question la prémisse de l’adoption d’une législation sur les plates-formes – particulièrement modelée sur la nouvelle loi sur les valeurs mobilières de la Colombie-Britannique. Étant donné que l’Ontario représente la plus grande part de l’activité des marchés financiers du Canada, il n’est pas logique de modeler les réformes sur une approche conçue pour un marché principalement composé de petites entreprises ayant des besoins différents, soutient le mémoire de Davies Ward Phillips & Vineberg.

Il aurait peut-être été plus logique d’assurer la compatibilité entre les lois de l’Ontario et de la Colombie-Britannique si le Cooperative Capital Markets Regulatory System (CCMR) était imminent, puisque la LMF a été conçue à l’origine pour faciliter la création du CCMR. Toutefois, maintenant que l’initiative a été effectivement abandonnée en raison d’un manque d’élan politique, « il n’y a plus de justification convaincante pour utiliser la loi de la C.-B. comme précédent pour la législation de l’Ontario », précise le cabinet d’avocats.

Il rappelle que la nouvelle loi de la C.-B. a été adoptée sans consultation publique approfondie et exprime également de « sérieuses préoccupations » quant à l’affirmation selon laquelle une nouvelle loi est nécessaire pour améliorer la souplesse de la réglementation. Plus précisément, le cabinet estime que l’approche de la plate-forme proposée donnerait à la CVMO, en particulier à son régulateur en chef, « un pouvoir discrétionnaire presque illimité ». De plus, l’approche « facilite la législation par fait réglementaire avec une responsabilité politique limitée ».

Cette même préoccupation a été reprise par Phil Anisman, avocat chevronné spécialisé dans les valeurs mobilières, dans son mémoire, qui prévient que l’adoption de l’approche de la plateforme proposée « donnerait à la CVMO le pouvoir illimité d’établir des règles relatives aux marchés financiers de l’Ontario ».

Ces pouvoirs étendus ne seraient supervisés que par le gouvernement, plutôt que par la législature, et cela se ferait « à huis clos et ne serait probablement pas divulgué », note-t-il.

« Cette approche de l’élaboration des lois est incompatible avec les principes démocratiques qui sous-tendent notre système parlementaire de gouvernement », affirme Phil Anisman, en faisant valoir que les lois devraient être élaborées par le corps législatif et non par un régulateur, ou même le gouvernement, seul.

En même temps, l’élargissement considérable du pouvoir de l’autorité de réglementation risque de nuire à la stabilité et à la prévisibilité de la réglementation sur laquelle les entreprises comptent lorsqu’elles effectuent des transactions sur les marchés financiers, ajoute Davies Ward Phillips & Vineberg.

« À notre avis, il est difficile d’envisager quelque chose de plus indûment contraignant que d’obliger les participants au marché à consacrer du temps et de l’argent à se familiariser et à se conformer à un tout nouveau texte de loi alors que la législation existante ne présente aucun problème », précise le cabinet d’avocats.

D’autres commentateurs de l’industrie ont également exprimé des préoccupations concernant la réduction proposée des périodes de commentaires pour les initiatives de politique réglementaire, qui passeraient de 90 à 60 jours ; la perspective d’introduire de nouvelles exigences dans la LMF sans les soumettre adéquatement au processus ordinaire de commentaires et d’analyse du public ; et le risque d’entraver les participants au marché mondial des dérivés avec la nouvelle loi proposée.

Le Comité consultatif des investisseurs (CCI) de la CVMO, qui a déclaré soutenir l’idée d’une loi sur les plates-formes, a également averti que l’élargissement des pouvoirs de la CVMO n’accélérerait pas l’élaboration des politiques à moins que le type d’ingérence gouvernementale identifié dans le récent rapport du vérificateur général ne soit également réduit. Ce rapport révèle que le lobbying et l’ingérence politique du secteur de l’investissement ont sapé les efforts de l’organisme de réglementation pour améliorer les mesures de protection des investisseurs et ont coûté des millions de dollars en frais aux investisseurs.

« Aucune rénovation législative ne pourra [rationaliser le processus réglementaire] si, en même temps, l’expertise spécialisée de la CVMO n’est pas reconnue et utilisée de façon constante comme la ressource la plus appropriée et la plus impartiale pour faire face à l’évolution rapide des marchés financiers et à la complexité croissante des produits d’investissement », conclut le CCI.