Votre recherche :

Les substances naturelles : une alternative aux pesticides de synthèse

Les substances naturelles : une alternative aux pesticides de synthèse

Les produits de biocontrôle, et notamment ceux qui comprennent des substances naturelles d’origine minérale, végétale, bactérienne ou animale, sont des alternatives potentielles aux pesticides de synthèse conventionnels car ils sont supposés avoir des impacts plus faibles sur la santé et sur l’environnement.

À ce jour, 39 substances naturelles sont autorisées en France pour protéger les cultures (contre 250 pesticides de synthèse). Elles couvrent des usages variés (herbicide, insecticide, fongicide…), mais le nombre de substances par usage reste limité. En général, les substances naturelles présentent des profils toxicologiques et environnementaux plus favorables que ceux des pesticides de synthèse. Toutefois, des recherches sont nécessaires pour approfondir la caractérisation de leurs propriétés toxicologiques et écotoxicologiques et de leur devenir dans l’environnement, et pour vérifier que les méthodes règlementaires d’évaluation des risques sont adaptées.

 

Un des défis actuels de l’agriculture est de produire des aliments de qualité en quantité, tout en limitant les impacts sur la santé et l’environnement pour protéger la population humaine, les ressources en eau, le sol et la biodiversité. 

 

Afin d’assurer la durabilité des agrosystèmes, des changements dans les systèmes de culture sont nécessaires pour réduire les pesticides. Si les pratiques agricoles devaient rester les mêmes (en termes d’usage de pesticides et d’engrais, d’irrigation, d’espèces cultivées), l’agriculture pourrait causer des dommages irréversibles sur l’environnement. 

 

Protection des cultures, santé et environnement

La Directive européenne 2009/128/EC instaure un cadre d’action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable et promeut notamment l’utilisation de méthodes « non chimiques » de protection des plantes [1].

En France, la Loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt stipule que « L’État encourage le recours par les agriculteurs à des pratiques et à des systèmes de cultures innovants dans une démarche agroécologique. À ce titre, il soutient les acteurs professionnels dans le développement des solutions de biocontrôle et veille à ce que les processus d’évaluation et d’autorisation de mise sur le marché de ces produits soient accélérés » [2].

 

Le Plan Écophyto II+ préconise de « Promouvoir et développer le biocontrôle et faciliter le recours aux préparations naturelles peu préoccupantes » [3]

 

Dans ce contexte, un état des lieux des substances naturelles ayant des usages pesticides et des pesticides de synthèse actuellement autorisés est nécessaire afin de déterminer si les substances naturelles peuvent effectivement constituer une alternative durable aux pesticides de synthèse. 

 

Le biocontrôle

Le biocontrôle rassemble des approches fondées sur des mécanismes naturels pour protéger les cultures ou renforcer leurs défenses contre les organismes nuisibles, grâce à des macro-organismes (coccinelles par exemple) ou à des produits phytopharmaceutiques comprenant des micro-organismes, des phéromones, des substances naturelles d’origine minérale, végétale, bactérienne ou animale, ou identiques à celles-ci, tout en présentant un niveau élevé de sécurité pour la santé et l’environnement.

1. Substances naturelles et pesticides de synthèse disponibles sur le marché et leurs usages

En France, environ 250 pesticides de synthèse sont autorisés à ce jour, contre seulement 39 substances naturelles :

Tableau I – Substances naturelles autorisées pour des usages pesticides et leurs origines
 

Les pesticides de synthèse présentent une grande diversité dans leur composition élémentaire et dans leur structure chimique. Il se divisent en trois catégories principales : 

– les pesticides organiques, qui sont les plus nombreux et qui appartiennent à des familles chimiques variées ;

– les pesticides organométalliques ;

– les pesticides inorganiques (cuivre, soufre), qui sont les plus anciens et dont l’emploi est apparu bien avant la chimie organique de synthèse.

 

Organique, organométallique, inorganique… Sais-tu reconnaître ?

 

Ces  substances couvrent tous les usages pesticides existants : herbicide, fongicide, insecticide, acaricide, nématicide, molluscicide…

 Tableau II – Nombre de substances naturelles et de pesticides de synthèse autorisés par usage avec le détail des substances naturelles 

Bien que le nombre de substances naturelles autorisées pour des usages pesticides soit beaucoup plus faible que celui des pesticides de synthèse, leurs structures chimiques sont elles aussi très diversifiées : alcanes, alcools, acides carboxyliques, esters…

Acides carboxyliques : acide caprylique - extrait de l'huile de coco ; acide pélargonique - extrait du pélargonium ; acide caprique - extrait des huiles de coco et palme (herbicides).
Acides gras (répulsif) - extraits de graisse de mouton.
Polysaccharide : laminarine (éliciteur des défenses chez le tabac et le blé) - extrait d'une algue.
Ester : pyréthrine (insecticide, acaricide) - extraite des fleurs de pyrèthre de Dalmatie.

 

La plupart de ces substances sont issues de plantes, d’autres sont d’origine minérale, et un plus petit nombre de substances provient de bactéries et d’animaux. Ces substances naturelles permettent de couvrir tous les usages pesticides, mais le nombre de substances par usage reste limité : par exemple, seules quatre substances ont une action herbicide (acide acétiqueacide caprique, acide caprylique, acide pélargonique). 

 

D’autre part, pour certains types de culture et pour certains usages, aucune substance naturelle n’est autorisée : c’est le cas pour les régulateurs de croissance. Ainsi, comparé au nombre de pesticides de synthèse autorisés pour chaque usage, le nombre de substances naturelles disponibles est encore faible (Tableau II).

 
Usages des substances naturelles par type de culture.

2. Propriétés physico-chimiques

Les données disponibles montrent une grande variabilité des masses molaires, solubilités dans l’eau et pressions de vapeur saturante des substances naturelles. La masse molaire varie de 60 g•mol-1 pour l’acide acétique à 6 800 g•mol-1 pour la maltodextrine. La solubilité dans l’eau de substances telles que la graisse de mouton ou le sable quartzeux est nulle tandis qu’elle est très élevée pour d’autres (acide acétique : 1,05•103 g•L-1). 

 

Enfin, certaines substances ne sont pas volatiles, à l’opposé de substances comme l’acide acétique, qui a une pression de vapeur très élevée (1,57•103 Pa), ou de l’abamectine qui, bien qu’ayant une pression de vapeur (3,7•10–6 Pa) plus faible que celle de l’acide acétique, a été identifiée comme substance hautement prioritaire à suivre dans l’air en raison de sa toxicité potentiellement élevée pour l’homme. 

 

En comparaison, la variabilité de ces propriétés pour les 250 pesticides de synthèse est plus faible pour la masse molaire (de 54 à 1 089 g•mol-1), mais plus élevée pour la solubilité dans l’eau (2•10–7 à 103 g.L-1) et la pression de vapeur (5,1•10–15 à 2,0•105 Pa).

 

Cette diversité des structures et des propriétés chimiques des substances naturelles, comme des pesticides de synthèse, va leur conférer des propriétés toxicologiques, écotoxicologiques et environnementales très différentes.

 

3. Propriétés toxicologiques, écotoxicologiques et environnementales

3.1. Toxicité

 

Au niveau règlementaire, la toxicité des pesticides pour la santé humaine est caractérisée grâce à des études d’absorption, de distribution dans les principaux organes et tissus, d’excrétion et de métabolisme chez les mammifères, de toxicité aiguë (voie orale, voie cutanée, inhalation, irritations cutanée et oculaire, sensibilisation cutanée et phototoxicité) et de toxicité à court terme (28 et 90 jours), de génotoxicité, de toxicité à long terme et de cancérogénèse, de reproduction et de neurotoxicité.

Sur la base de ces données, des DJA (dose journalière admissible) et des NAEO (niveau acceptable d’exposition de l’opérateur), sont fixés pour chaque pesticide. La valeur de référence la plus utilisée actuellement pour caractériser la toxicité pour la santé humaine est le NAEO : plus elle est élevée, moins la substance est toxique. 

 

Les NAEO ne sont pas disponibles pour toutes les substances naturelles. En effet, pour les substances « à faible risque » (laminarine, par exemple) et pour les substances alimentaires (acide acétique, huile de colza…), ils ne sont pas requis au niveau règlementaire. 

 

Finalement, les NAEO de 23 substances naturelles ont été comparés à ceux des 250 pesticides de synthèse (figure ci-dessous). Dans l’ensemble, si les substances naturelles tendent à être moins toxiques que les pesticides de synthèse, certaines ont toutefois une toxicité élevée, en particulier les insecticides abamectine, spinosad et pyréthrines. Ainsi, le caractère « naturel » d’une substance n’est pas un gage de son innocuité pour la santé humaine. 

Représentation en « boxplots » de la distribution des valeurs des NAEO (niveau acceptable d’exposition de l’opérateur), PNEC (concentration prévisible sans effet), DT50 (durée de demi-vie de dégradation) et Koc (coefficient de distribution d’un composé entre les phases solide et liquide du sol, rapporté à la teneur en carbone organique du sol) des substances naturelles (vert) et des pesticides de synthèse (rouge). Les lignes pointillées représentent la limite entre substances non persistantes (DT50 < 60 jours) et potentiellement persistantes dans les sols (DT50 > 60 jours) et entre substancesmobiles (log Koc < 2,7) et immobiles dans les sols (log Koc > 2,7).

 

3.2. Écotoxicité

La caractérisation de l’écotoxicité des pesticides est fondée sur des études permettant de déterminer leurs effets sur les oiseaux, les organismes aquatiques (poissons, algues…), les arthropodes (abeilles notamment), les vers de terre, les micro-organismes non cibles du sol et autres organismes non cibles (flore et faune) supposés être exposés à un risque.

Un des aspects importants de l’évaluation du risque écotoxicologique est la détermination de classes de risque aquatique (eaux de surface) qui déterminent ensuite la dimension des zones non traitées (ZNT), en bordure de cours d’eau notamment. Les données d’écotoxicité obtenues pour les différents organismes aquatiques sont utilisées pour déterminer des PNEC  predicted no effect concentration », ou concentration prévisible sans effet, µg.L-1), destinées à couvrir les impacts à court et long termes. 

 

La PNEC qui conduit au risque maximal parmi toutes les PNEC calculées (i.e. pour chaque type d’organisme aquatique) est retenue comme PNEC de référence, puis cette PNEC est comparée à la concentration prévisible dans l’eau (PECEau) pour en déduire la classe de risque. Plus le rapport PECEau/PNEC est élevé, plus la classe de risque est élevée et plus la largeur de la ZNT sera importante (jusqu’à 100 mètres).

 

Ainsi dans ce travail, la PNEC a été retenue comme valeur de référence pour comparer l’écotoxicité des substances naturelles à celle des pesticides de synthèse. Plus la valeur de la PNEC est élevée et moins la substance est toxique pour les organismes de l’environnement.

 

Les PNEC disponibles pour 25 substances naturelles ainsi que pour les 250 pesticides de synthèse sont présentées dans le graphe ci-dessus. Comme pour la santé humaine, les résultats révèlent que, dans l’ensemble, les substances naturelles ont une écotoxicité plus faible que celle des pesticides de synthèse. Toutefois, de même que précédemment, les trois insecticides abamectine, spinosad et pyréthrine présentent une écotoxicité élevée.   

 

3.3. Persistance dans l’environnement 

L’évaluation des risques pour l’environnement nécessite de caractériser le devenir et le comportement des pesticides dans le sol, l’eau (incluant les sédiments) et l’air. Lors du traitement des cultures, la majeure partie des quantités de pesticides apportées atteint le sol, soit parce que les pesticides y sont appliqués directement, soit parce que la pluie a lessivé le feuillage des plantes traitées (cultures et/ou adventices). 

Dans le sol, les pesticides sont affectés par différents processus qui vont conditionner leur mobilité, leur persistance, leur transfert vers les autres compartiments de l’environnement (eau, plante, atmosphère), et par conséquent leur impact potentiel sur les êtres vivants exposés. En particulier, c’est lorsque le pesticide est présent en phases liquide et gazeuse qu’il sera disponible pour être dégradé par les micro-organismes mais aussi pour être transféré vers les eaux souterraines ou vers l’air, alors qu’en phase solide, il est moins disponible et peut rester piégé dans le sol. Toutefois, dans ce dernier cas, il est susceptible d’être transféré vers les eaux de surface (cours d’eau, mares…) par érosion et ruissellement. 

 

La persistance des pesticides dans le sol est généralement caractérisée par la durée de demi-vie de dégradation DT50 (« Degradation Time ou half-life », en jours). Du point de vue règlementaire, lorsque la DT50 d’un pesticide mesurée en conditions contrôlées de laboratoire est supérieure à 60 jours, il est considéré comme potentiellement persistant et sa DT50 doit alors être déterminée en conditions réelles de plein champ. Si, en plein champ, la DT50 du pesticide dans le sol est supérieure à trois mois, alors il est persistant et ne peut être autorisé. 

 

Les DT50 mesurées au laboratoire ont été recherchées pour les 39 substances naturelles et les 250 pesticides de synthèse (le nombre de données relatives aux DT50 en plein champ est plus limité puisque leur mesure n’est pas systématiquement requise) (graphe plus haut). L’analyse des résultats disponibles montre que les substances naturelles tendent à être moins persistantes que les pesticides de synthèse, avec des DT50 généralement inférieures à 60 jours. Les substances les plus persistantes sont  l’abamectine (DT50 maximale : 66 j), l’huile de paraffine (87 j), le spinosad (114 j) et les phosphonates (281 j) (graphe ci-dessus). D’autre part, l’abamectine et le spinosad forment, au cours de leur dégradation, des métabolites qui peuvent être plus persistants que la substance parent.


Conclusion – Les substances naturelles : une alternative durable aux pesticides de synthèse ?

Au niveau national, 39 substances naturelles disposent actuellement d’une autorisation de mise sur le marché pour des usages pesticides. Ces substances présentent des profils toxicologiques, écotoxicologiques et environnementaux plus favorables que ceux des pesticides de synthèse : elles tendent à avoir une toxicité plus faible pour la santé humaine et pour les organismes de l’environnement et elles sont aussi plutôt moins persistantes dans l’environnement.  

 

Cependant, le nombre de substances disponibles pour chaque type d’usage reste faible, ce qui pourrait conduire à des impasses agronomiques ou bien encore au développement de résistance si les mêmes substances sont régulièrement appliquées. Ainsi, il est nécessaire d’accroître la diversité des molécules pour limiter le recours aux pesticides de synthèse et l’apparition de résistances. D’autre part, il faut souligner que la toxicité, l’écotoxicité et la persistance dans l’environnement de certaines substances naturelles sont élevées  : naturel ne signifie donc pas sans danger.

 

Enfin, les méthodes d’évaluation des risques qui sont actuellement utilisées au niveau règlementaire pour les substances naturelles ont été développées pour les pesticides de synthèse, notamment les méthodes fondées sur l’utilisation de modèles numériques ; or il n’a pas été démontré que ces méthodes étaient adéquates, en particulier pour des produits utilisés à des doses très importantes. Des recherches sont donc nécessaires pour approfondir la caractérisation des propriétés des substances naturelles, vérifier la pertinence des méthodes d’évaluation et en développer d’autres si nécessaire. 

En l’état actuel des connaissances, les substances naturelles représentent une alternative prometteuse aux pesticides de synthèse, mais il est encore difficile de déterminer si elles peuvent les remplacer totalement et durablement, d’autant que l’ensemble des besoins et des usages n’est pas couvert pour le moment.

Laure Mamy et Enrique Barriuso.

Les auteurs

D’après l’article de Laure Mamy, directrice de recherche, et Enrique Barriuso, directeur de recherche, INRAE, UMR ECOSYS (Écologie fonctionnelle et écotoxicologie des agroécosystèmes), à Thiverval-Grignon :  
Les substances naturelles : une alternative aux pesticides de synthèse, paru dans L’Actualité Chimique n° 470, février 2022, p. 9-14.

Enrichissez vos connaissances !

Quiz

Les phytopharmaceutiques ont de passionnantes histoires à nous raconter !

Testez et étendez votre culture avec ce quiz !



Étymologie sur les procédés sol-gel

L’eugénol est une molécule naturelle qu’on trouve notamment dans les clous de girofle.

Il peut être utilisé comme une alternative aux phytomédicaments synthétiques et évite ainsi que les bactéries déveoppent des résistances.

Mais sais-tu d’où vient le mot eugénol ?

Découvre son étymologie !

Réadaptation de l’article et contenus pédagogiques

 

Bérangère Godde, professeure de physique chimie au lycée Galilée (Gennevilliers).
Lucas Heny, professeur au lycée polyvalent de Cachan et au lycée Jean-Jaurès (Montreuil).
Minh-Thu Dinh-Audouin, journaliste scientifique chef de rubrique à L’Actualité Chimique.

Notes et références

[1] Directive 2009/128/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 oct. 2009 instaurant un cadre d’action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable, Off. J. Eur. Union. L309, 71, 2009.