Une photo d'une statuette de la femme de la justice.
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Dans son récent arrêt Heller c. Autorité des marchés financiers1, la Cour d’appel du Québec clarifie ce que l’Autorité des marchés financiers (AMF) doit prouver pour obtenir une condamnation pour complicité à une infraction prévue à la Loi sur les valeurs mobilières (LVM).

Il est interdit d’aider à commettre une infraction à la LVM, voire d’amener quelqu’un à commettre une infraction par des encouragements, des conseils ou des ordres. Un complice sera lui-même déclaré coupable de l’infraction qu’il a aidé à commettre.

Mais que doit prouver l’AMF pour obtenir une condamnation pour complicité? Est-il suffisant de démontrer des gestes qui ont eu pour effet d’aider à commettre l’infraction? Doit-elle démontrer en plus un esprit coupable, voire la connaissance que les gestes aidaient à commettre l’infraction?

Ces questions faisaient l’objet d’un débat jurisprudentiel jusqu’à tout récemment. L’arrêt Heller clôt ce débat. Il tranche que l’AMF a le fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable un acte ou une omission ayant eu l’effet d’aider à commettre une infraction, mais aussi l’intention d’aider. Cette intention coupable peut s’établir en démontrant que le complice savait que ses gestes aideraient à commettre l’infraction ou, encore, qu’il a agi avec insouciance ou aveuglement volontaire, alors qu’il aurait dû savoir la portée de ses gestes.

L’arrêt Heller concerne une émission d’actions sans prospectus auprès d’investisseurs qui avaient faussement déclaré être qualifiés au sens du Règlement 45-106 sur les dispenses de prospectus. L’AMF reprochait notamment aux accusés d’avoir omis de vérifier la véracité des déclarations des investisseurs, une vérification clé pour déterminer si l’émetteur pouvait bénéficier d’une dispense de prospectus. Or, la preuve démontrait que des investisseurs avaient en réalité des revenus ou des avoirs moindres que ce qu’ils avaient déclaré à l’émetteur.

L’accusé Heller était l’avocat, le secrétaire corporatif et un administrateur de l’émetteur. Il assumait également d’autres fonctions pour l’entreprise, dont la contre-signature des formulaires de souscription des investisseurs, la signature des certificats d’actions, la gestion des traites bancaires des investisseurs et l’organisation de réunions d’investisseurs dans son bureau. La Cour a retenu de la preuve que l’accusé était aux premières loges des placements d’actions de l’émetteur, qu’il a joué un rôle essentiel et qu’il savait ou aurait dû savoir que des titres étaient placés auprès de membres du public.

Il y a deux leçons importantes à tirer de cet arrêt.

Première leçon : les défendeurs ont maintenant un avantage stratégique dans les affaires pénales. Avant l’arrêt Heller, il n’était pas clair si une personne accusée d’avoir aidé à la commission d’une infraction avait le fardeau de démontrer qu’il avait agi avec diligence raisonnable pour prouver son innocence. Dorénavant, il est clair que c’est à la poursuite de démontrer qu’un complice avait une intention coupable en aidant l’auteur principal de l’infraction. Cette clarification permet à la personne accusée de complicité de garder le silence à son procès ou, du moins, d’attendre que l’AMF administre sa preuve sur l’intention coupable avant de décider d’administrer une preuve pour contrer les accusations.

Deuxième leçon : l’alourdissement du fardeau de preuve de l’AMF dans les procédures pénales pourrait l’inciter à privilégier les procédures en pénalité administrative devant le Tribunal administratif des marchés financiers plutôt que de procéder par voie de procédures pénales devant la Cour du Québec. Les sanctions administratives peuvent s’élever jusqu’à 2 millions de dollars. Elles sont considérées comme étant plus rapides et plus faciles, car l’AMF n’a qu’à prouver le geste de l’infraction selon la prépondérance des probabilités. Elle n’a pas à démontrer d’intention coupable. Au surplus, l’AMF dispose de plus de temps pour ficeler ses dossiers en sanctions administratives, n’ayant pas de délai précis pour déposer des procédures administratives, alors qu’elle dispose de cinq ans depuis l’ouverture du dossier d’enquête pour déposer des procédures pénales.

  1. 2022 QCCA 208.

Par Me Julie‑Martine Loranger et Me Gabriel Querry, associées chez McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., avec la collaboration de Me Kevin Pinkoski.

Le présent article ne constitue pas un avis juridique.