Le biocontrôle se répand sur toutes les cultures

Avec plus de 20 % des volumes, le biocontrôle continue de croître sur le marché français des phytosanitaires et trouve désormais des applications dans certaines grandes cultures. Maintenant que les solutions existent, les industriels s’adaptent aux besoins des agriculteurs.

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Le biocontrôle se répand sur toutes les cultures
21 % des produits phytosanitaires vendus en 2020 sont des produits de biocontrôle.

Glyphosate, néonicotinoïdes, chlorpyrifos… Nombreuses sont les substances issues de la chimie de synthèse devenues synonymes de controverses. Les pouvoirs publics ont, par conséquent, entamé une transition écologique du secteur agricole, avec comme cheval de bataille, la réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires conventionnels, tout en maintenant une agriculture économiquement performante. Et pour réduire l’utilisation des pesticides, nombreux sont les acteurs qui se tournent vers les biosolutions, plus communément appelées biocontrôle. Ce terme désigne un ensemble de méthodes de protection des végétaux reposant sur l’utilisation de mécanismes naturels pour maîtriser notamment les bioagresseurs, tels que les insectes ravageurs ou des parasites. « Le biocontrôle n’est pas nouveau, cela fait entre vingt et trente ans que certains y ont recours. Mais c’est un phénomène qui prend de l'ampleur depuis dix ou quinze ans », se rappelle Thomas Laurent, p-dg de Micropep. Pour preuve, le plan Écophyto de 2008, révisé en 2015, avait été mis en place pour réduire et améliorer l’utilisation des produits phytosanitaires. Vient ensuite la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt du 13 octobre 2014 à travers laquelle l’État a introduit la mise en place d’une réglementation spécifique pour l’utilisation des produits de biocontrôle. « Nous sommes de plus en plus souvent sollicités par des agriculteurs qui expriment leur souhait et leur besoin de sortir de la chimie conventionnelle. Il s’agit d’un modèle qui s'essouffle », constate Thomas Laurent. Et face à cette augmentation de la demande, le gouvernement, à travers la loi du 30 octobre 2018 dite EGalim, vise à adopter une stratégie nationale de déploiement du biocontrôle. Publiée le 10 novembre 2020, cette stratégie a été élaborée avec l’ensemble des parties prenantes engagées dans cette transition. Elle vise la mise en œuvre d’une série de mesures afin de favoriser la recherche, l’expérimentation, l’innovation industrielle et le déploiement sur le terrain de ces solutions biosourcées. L’objectif principal est de consolider la dynamique en cours de promotion des solutions de biocontrôle comme alternatives aux produits phytosanitaires conventionnels. La mise en place de cette stratégie fait écho aux objectifs de réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires conventionnels fixés par l’État français et la Commission européenne dans le cadre du Green Deal et de la stratégie « Farm to Fork » présentés en mai 2020. La mise en place de ces différentes mesures et politiques a engendré une baisse notable des ventes de produits de protection des plantes sur les vingt dernières années. Selon une étude de Phyteis (ex-Union des industries de protection des plantes), le tonnage de ces produits phytosanitaires a diminué de 46 % entre l'an 2000 et 2020. Et un zoom sur les ventes des quatre dernières années met en évidence une augmentation de 23 % des produits de biocontrôle, tandis que les ventes de produits phytosanitaires conventionnels ont diminué de 16,5 %. « Selon la BNVD (Banque nationale des ventes des distributeurs de produits phytopharmaceutiques, N.D.L.R.) de décembre 2021, 21 % des produits phytosanitaires vendus en 2020 sont des produits de biocontrôle », pointe Pierre-Yves Busschaert, responsable des affaires économiques et de l’agronomie digitale chez Phyteis (ex-Union des industries de la protection des plantes), association professionnelle composée de fournisseurs de produits phytosanitaires à usage agricole.


Des volumes de production en croissance

Si, en volume, le biocontrôle représente un cinquième du volume des ventes du marché des produits phytosanitaires, il ne représente que 10 % en valeur, en 2021, selon les chiffres de l’IBMA (International Biocontrol Manufacturers Association). « Il faut prendre en considération le fait que l’IBMA inclut les macro-organismes dans les solutions de biocontrôle, tels que les coccinelles dans la lutte contre les pucerons. Sans cela, les substances actives biologiques représentent 5 % de la valeur du marché », précise Pierre-Yves Busschaert. Cette différence s’explique notamment par le fait que le principal produit vendu en tant que solution de biocontrôle n’est autre que le soufre. « Quand sur un hectare, on utilise huit à dix kilos de soufre, alors qu’on utiliserait dix fois moins d’un produit chimique conventionnel, on comprend bien que les volumes sont importants mais que la valeur est plus faible », explique Pierre-Yves Busschaert. Ce produit est principalement utilisé dans le cadre de la protection de la vigne ou des arbres fruitiers. Il s’agit, par ailleurs, des secteurs où l’on retrouve traditionnellement les solutions de biocontrôle. « Étant une culture à plus haute valeur ajoutée, la vigne se prête plus à la réalisation de tests », explique Elodie Blanc, en charge des bioressources au sein de Bioeconomy For Change. Cela n’empêche pas les autres cultures de s’intéresser également aux biosolutions, expliquant en partie l’augmentation des volumes vendus. Bien que l’application sur les grandes cultures soit pour l’instant encore difficile, la demande de la part des agriculteurs est bien présente. « Les agriculteurs entament leur transition. Pour l’instant, l’objectif est de réduire l’usage d’intrants chimiques. Et dans ce cadre, les biosolutions viennent en complément des produits conventionnels », raconte Benoît Hartmann, responsable de la R&D monde pour les biosolutions chez Bayer Crop Science. Ce que corrobore Thomas Laurent (Micropep) : « Les grandes cultures ont de plus en plus tendance à modifier leur mode de traitement afin de limiter le phénomène de résistance. Ils réalisent plus de mélanges ».

 « On constate des demandes différentes selon les régions du monde. Dans la tendance actuelle, la demande pour des solutions concernant les grandes cultures provient majoritairement des États-Unis, alors que l’Asie et l’Union européenne sont plus demandeurs pour le secteur des fruits et légumes », constate Benoît Hartmann. Avant de tempérer : « Il n’y a pas encore de solutions pour tout. Chaque culture nécessite des produits qui lui sont propres. » Pour les grandes cultures, il existe une trentaine de solutions, quand plus de cent sont disponibles pour les fruits et légumes. Et c’est là l’un des freins à la démocratisation plus rapide du biocontrôle en France et en Europe. De plus, si une société veut appliquer sa solution sur plusieurs cultures différentes, elle doit réaliser des essais supplémentaires. « Un produit est validé sur une culture spécifique. Si une société veut réaliser un élargissement usager, les essais en champs doivent être réalisés de nouveau sur la nouvelle culture », confirme Elodie Blanc (B4C). Et face à cette particularité, les acteurs demeurent pourtant positifs. « Le problème n’est pas la réglementation, mais le temps d’obtention des autorisations, notamment au sein de l’Union européenne. Chez Bayer, typiquement, certains de nos produits sont homologués à l’étranger avant la France », pointe Benoît Hartmann (Bayer). Ce qu’appuie Élodie Blanc : « La problématique de l’homologation des produits de biocontrôle est qu’il s’agit d’une étape très longue et très coûteuse. Certains produits sont plus facilement homologués aux États-Unis ». « Ce qui est long, c’est le temps de délai au démarrage », pointe Christian Le Roux, secrétaire général de M2i Life Science. Avant de s'expliquer : « Nous avons obtenu, en 2021, une autorisation de mise sur le marché d’un produit de biocontrôle pulvérisable pour la protection des vignes. Mais sa mise réelle sur le marché ne se fera qu’en 2023. Alors que, dans d’autres pays, cette phase de lancement peut être plus rapide. Cela varie selon les méthodes et les pratiques de chacun ». Et pour Christian Le Roux, ce délai d’attente pour l’obtention des AMM venait surtout du manque d’expertise de l’Anses à ce sujet. « Depuis, il y a eu une nette amélioration dans le traitement des dossiers de biocontrôle. »

Des solutions adaptées aux agriculteurs

Le recours aux biosolutions de plus en plus croissant pousse les producteurs de produits phytosanitaires naturels à investir dans la recherche et le développement de nouvelles solutions. Selon les chiffres de l’IBMA, les entreprises adhérentes continuent d’investir dans la recherche et l’innovation. Pour plus de la moitié de leurs adhérents, le budget R&D consacré au biocontrôle aurait augmenté de 15 % entre 2019 et 2020. « Depuis une dizaine d’années, nous investissons dans la R&D afin de mettre au point des produits qui répondent réellement aux besoins des agriculteurs. Notre stratégie est de leur proposer de vraies solutions, de mettre au point une nouvelle génération de produits plus facile d’utilisation », explique Benoît Hartmann (Bayer). C’est également la stratégie de M2i Life Science. « Nous travaillons en lien avec les agriculteurs pour leur faciliter la vie. Les méthodes d’utilisation de nos produits s’adaptent aux usages et à la taille des cultures. Il est important pour nous de développer des produits aussi efficaces que sans effet pour la santé des agriculteurs, des riverains et des consommateurs», précise Christian Le Roux. M2i Life Science, spécialisée dans les phéromones, a développé différents types d’application de ces produits qui s’adaptent au type de culture, à la taille du champ ou encore à l’espèce de ravageur visée. « Sur des petites surfaces de champs, on peut mettre en place un système de piégeage des insectes. Sur des surfaces plus grandes, on aura recours à un procédé innovant d’encapsulation permettant la pulvérisation du produit », explique Christian Le Roux. Avant d’ajouter : « Nous avons également un système de « Press », une sorte de pâte que l’on applique sur le tronc des arbres fruitiers. Nous avons également développé des billes de paintball à base de cire d’abeille et d’huile de colza pour lutter contre la chenille processionnaire du pin ».

Et les petites sociétés innovantes ne sont pas rares, mais elles ont souvent peu de moyens. C’est pourquoi une société comme Bayer n’hésite pas à multiplier les partenariats. « Notre stratégie d'innovation se tourne de plus en plus vers les partenariats avec des petites sociétés. Nous avons actuellement un partenariat avec une société en Espagne au sujet des phéromones. Et un autre avec une société britannique sur un extrait d’huile d’olive comme biosolution », raconte Benoît Hartmann. Comme les consommateurs ont tendance à se tourner vers des produits issus de l’agriculture biologique, les sociétés cherchent à accompagner les agriculteurs dans leur transition progressive, en leur proposant des produits plus simples d’utilisation ou des programmes d’accompagnement sur les bonnes pratiques.

Malgré les politiques françaises et européennes visant à réglementer l’utilisation du biocontrôle et interdire certains pesticides, il est toujours possible de trouver dans le commerce des produits agricoles conventionnels issus de pays dans lesquels le recours à ces produits phytopharmaceutiques n’est pas contrôlé. C’est pourquoi les acteurs du domaine du biocontrôle attendent beaucoup des clauses miroirs. « Les clauses miroirs ont pour objectif d’interdire l’introduction de produits agricoles provenant de pays étrangers utilisant des produits phytopharmaceutiques interdits en Europe », explique Christian Le Roux (M2i Life Science). En luttant ainsi contre la concurrence déloyale, le gouvernement espère participer à l’essor du biocontrôle.

Les différents types de biocontrôle

Tout comme pour les produits phytosanitaires conventionnels, il n’existe pas un type unique de biocontrôle. Selon Élodie Blanc (B4C), « il existe quatre types de biocontrôle : les macro-organismes, les micro-organismes, les substances actives naturelles et les phéromones et kairomones ». Les macro-organismes sont utilisés notamment dans la lutte contre les ravageurs. Exemple le plus connu : les larves de coccinelles. Celles-ci sont employées pour lutter notamment contre les pucerons, qu’elles consomment. Les phéromones et les kairomones permettent de lutter contre une espèce d’insecte ravageur à la fois. Cette technologie consiste en la synthèse d’une phéromone naturellement produite par les femelles de cette espèce afin de perturber leur reproduction. En effet, le mâle est attiré dans un piège, empêchant ainsi la reproduction sexuelle et laissant les animaux mourir naturellement. En ce qui concerne les micro-organismes, les exploitants s’appuient sur des bactéries, des champignons ou encore des micro-algues pour lutter contre des parasites ou des maladies, comme le mildiou de la vigne. Enfin, certaines substances actives d’origine végétale (comme des protéines) permettent de protéger les végétaux de certains parasites ou de maladies.

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