« L’un des points les plus délicats dans l’agroécologie est qu’elle dépend du milieu où elle se fait. Cette transition vient, en effet, maximiser la dépendance aux conditions locales, alors que ces quarante dernières années ont plutôt conduit à réduire cette dépendance, au moyen de solutions fonctionnant à peu près partout », a expliqué Christian Huyghes. Directeur scientifique agriculture à l’Inrae, il intervenait lors d’une table ronde organisée, le 2 février 2023, par Semae et l’AGPB sur les innovations dans les fermes en 2030.

« Une vision combinatoire »

Ce virage induit, selon lui, le recours à des combinaisons de leviers. « C’est un défi à relever non seulement par l’agriculteur, mais aussi le chercheur et le conseiller », a-t-il ajouté. Le scientifique s’est également interrogé sur « le niveau de complexité du vivant qu’on accepte. On a beaucoup parlé de variété aujourd’hui. Mais va-t-on proposer une plante suivant uniquement sa génétique, ou vendre un holobionte, à savoir une plante et toute sa communauté microbienne ? Je suis persuadée que c’est ça qui va être central dans l’innovation en 2030. »

Pour Stéphane Jézéquel, directeur scientifique chez Arvalis, la transition agroécologique ouvre également l’ère du sur-mesure. « On a parlé d’édition génomique, des connaissances issues des microbiotes — une piste d’ailleurs prometteuse pour après 2030. On pourrait aussi citer la robotique et les nouveaux contrôles tel que le biocontrôle. Mais tout cela illustre une vision thématique des solutions. Seule une vision combinatoire est en capacité de relever tous ces défis climatiques et environnementaux. Dans l’accompagnement, il faut amener l’agriculteur à toutes les combinaisons possibles. »

Mélanges de variétés et d’espèces

Parmi les innovations pour la ferme de demain, Christian Huyghes de l’Inrae a également pointé la nécessité d’améliorer l’efficience azotée des plantes. « Le grand défi en agriculture n’est pas la problématique phytosanitaire, mais celle de l’azote. » Les couverts végétaux ne viendront par ailleurs plus d’une seule variété, « avec un seul génotype tel qu’on l’a développé les cinquante dernières années. Nous allons vers davantage de diversité au sein des couverts, avec des mélanges de variétés et d’espèces. La maîtrise du désherbage, ainsi que la gestion du retour du carbone au sol via les plantes, passeront par une augmentation de leur diversité. »

Financements partagés

« Produire quoi ? Combien ? Et comment ? Ce sont les principales questions à se poser pour 2030 », a poursuivi François Rollin, directeur du marketing pour l’activité semences grandes cultures au sein du groupe Limagrain. Lorsque la Russie et l’Ukraine – les deux plus gros producteurs de tournesol -, se mettent en guerre, cela a un impact direct sur l’huile de tournesol et sa disponibilité en France. On s’est rendu compte qu’on n’était pas largement autosuffisant comme on le pensait. Quand les mesures du Green Deal impliquent une baisse de la production de 15 % par rapport à aujourd’hui, la question du « Combien on produit ? » interroge. Quant aux pratiques à mettre en place pour relever les défis environnementaux, « le nombre de solutions diminue, cela devient plus complexe pour lutter contre certains bioagresseurs. Moins on a de solutions disponibles, plus l’agronomie revient au centre. »

« La décarbonation est un sacré sujet pour les dix ans qui viennent. On doit le prendre à bras-le-corps », a conclu Éric Thirouin, président de l’AGPB, à condition toutefois « de ne pas être les seuls à financer cette transition. Il est possible de la mener, si on investit tous ensemble. »

Article rédigé par La France Agricole Factory et proposé par Semae