Carpocapse sur pommier, doryphore de la pomme de terre, hanneton, mildiou… On les appelait autrefois des « fléaux agricoles ». Après guerre, en même temps que le développement du machinisme et le remembrement des parcelles, leur éradication est devenue une nécessité car il fallait produire en quantité pour que la France retrouve son autosuffisance alimentaire.

Sur grandes cultures

Au fil des années, des variétés plus tolérantes aux bioagresseurs ont vu le jour concomitamment à l’accès à davantage de produits de protection des cultures. La « chimie » était en effet déjà présente dès la fin du XIXe siècle avec entre autres le soufre et le cuivre. « Avant 1945, la protection était relativement intensive sur vignes et vergers, relate Jean-Louis Bernard, de l’Académie d’agriculture de France. En revanche, sur grandes cultures, il ne se passait pas grand-chose, si ce n’est l’emploi d’acide sulfurique comme antidicotylédones et de traitements de semences à base de sels de cuivre. »

À la sortie de la Seconde Guerre mondiale arrivent les premières molécules issues de la chimie organique : herbicides pour les céréales (phytohormones) et le maïs (triazines), insecticides (organophosphorés et organochlorés) et fongicides (zinèbe, manèbe), etc. S’agissant de nouvelles solutions simples à employer, avec des résultats immédiats, les agriculteurs ont rapidement adopté cette phytopharmacopée à grande échelle.

Des limites identifiées

« Les choses ont ensuite évolué par étapes. Dans les années cinquante, les dossiers d’homologation restaient relativement squelettiques et le contenu concernait pour l’essentiel l’efficacité, rappelle Jean-Louis Bernard. Il se dit que celui du DDT faisait moins de 200 pages à l’époque, ce qui est très peu comparé à aujourd’hui ! » Sur le plan de la toxicologie, la plupart des organophosphorés ont été mis à l’index dès le début des années cinquante. Il a fallu attendre plus longtemps pour les organochlorés.

L’évolution s’est aussi faite sur le terrain des résistances. Les premières sont apparues très rapidement après le lancement des premières spécialités. Dès les années cinquante, elles ont notamment concerné les ravageurs traités avec du DTT. Mais d’autres impasses techniques sont également apparues. Par exemple pour lutter contre le psylle du poirier, il fallait traiter plus de 15 fois au cours d’une saison. Les insecticides utilisés n’étant pas sélectifs, ils détruisaient toute la faune auxiliaire, provoquant aussi des pullulations des ravageurs secondaires.

Les premiers travaux concernant l’impact des pesticides sur l’environnement ont commencé bien avant 1945… Mais à l’époque il n’existait pas d’approche systématique. « Quelques chercheurs avaient tiré la sonnette d’alarme, notamment au sujet de l’impact des produits phytosanitaires sur la régulation naturelle ! », rapporte André Fougeroux, également membre de l’Académie. Ainsi, les premiers essais de lutte biologique datent de la fin du XIXe siècle.

- Avec le lancement du premier plan "Ecophyto 2018" en 2008, vient notamment la suppression actée des molécules le plus dangereuses.

Affaire « Gaucho »

La question de l’impact des phytos sur la santé et l’environnement est devenue plus prégnante à la fin des années quatre-vingt-dix, début des années 2000. Au moment de l’affaire du « Gaucho », notamment, qui est intervenue à la même période que les questionnements sur les OGM. « Le fait que ça touche les abeilles a certainement éveillé les consciences et a favorisé une communication importante et régulière des médias envers le grand public », confirme Jérôme Jullien, expert référent national en surveillance biologique du territoire à la DGAL (Direction générale de l’alimentation). Lindane ou fipronil… à la même période d’autres substances sont entrées dans la tourmente. Le glyphosate et les néonicotinoïdes sur betteraves ont aujourd’hui pris le relais.

Dans ce contexte, la protection intégrée, définie depuis de nombreuses décennies, est apparue comme un bon compromis. L’idée étant de rechercher un équilibre au sein de l’agrosystème en limitant au maximum l’emploi des produits phytopharmaceutiques. C’est ainsi que les différents plans Écophyto (2018, II et II +), et en Europe la directive 2009/128, ont inscrit le retrait des molécules les plus dangereuses (diméthoate, métam-sodium, phosmet, benfluraline, chlorothalonil…) et plus généralement leur réduction d’emploi (restrictions réglementaires avec les ZNT riverains, le plan pollinisateurs…).

- Le 27 décembre 2019, deux textes sont parus au journal officiel pour fixer des distances minimales de non-traitement à respecter près des habitations.

En France, cela a abouti, par exemple, à la mise en place de fermes Dephy, au dispositif de certificat d’économie de produits phytopharmaceutiques (CEPP) ou encore à la stratégie nationale du déploiement du biocontrôle. Quand on dénombrait au début des années quatre-vingt-dix pratiquement 1 000 substances actives autorisées en Europe, en 2022 il n’en restait qu’un peu plus de 300. Le ministère a confirmé cet automne une diminution des ventes de spécialités depuis 2016.