Agroécologie 3 min

Exploiter la spécificité d’hôtes pour développer la lutte autocide chez les champignons pathogènes

L'hybridation entre espèces sœurs d’agents pathogènes est un mécanisme pouvant favoriser l'émergence de nouvelles maladies. Des scientifiques de l’IRHS (UMR INRAE Institut agro Rennes Angers, université d’Angers) ont évalué ce risque chez le champignon Venturia inaequalis pour lequel il existe plusieurs lignées responsables de la maladie de la tavelure sur différentes espèces de la famille des rosacéees : pommier, pyracantha, néflier du Japon. Les résultats obtenus ne soutiennent pas l’hypothèse d’un risque d’émergence d’hybrides transgressifs, mais ils ont donné, de manière totalement fortuite, l’idée d’un nouveau concept de lutte biologique reposant sur une stratégie de détournement sexuel de type lutte autocide qu'INRAE a brevetée.

Publié le 17 avril 2023

illustration Exploiter la spécificité d’hôtes pour développer la lutte autocide chez les champignons pathogènes
© Bruno-Le-Cam-INRAE

Les barrières reproductives entre lignées fongiques pathogènes spécialisées sur des espèces hôtes différentes peuvent être incomplètes et conduire à des évènements d’hybridation. Ces hybridations pouvant provoquer l’émergence de nouvelles maladies présentant potentiellement une gamme d’hôtes plus étendue, l’équipe a recherché si de telles situations pouvaient se présenter chez le champignon Venturia inaequalis qui est, à lui seul, responsable de plus de la moitié des traitements appliqués en verger sur pommier.

L’hybridation de V. inaequalis entre lignées isolées de pommier et de pyracantha ne représenteraient pas un risque pour les vergers de pommiers

En réalisant des tests de pouvoir pathogène de plusieurs lignées de V. inaequalis sur différents hôtes, les chercheurs ont mis en évidence une spécificité d’hôte stricte sur le pommier et sur le pyracantha, alors que la plupart des souches de V. inaequalis testées sont capables d’infecter le néflier du Japon. Afin d’identifier le déterminisme génétique de cette spécificité d’hôte, des croisements au laboratoire ont été réalisés entre les 2 lignées isolées de pommier et de pyracantha. Les 251 hybrides obtenus à partir de 5 croisements différents ont ensuite été inoculés sur 2 variétés de pommier et 1 de pyracantha. Il a été montré que les hybrides sont capables d’infecter les plants de pyracantha, en revanche aucun d’entre eux n’est capable d’infecter les plants de pommiers. Ces données suggèrent donc que ces hybrides à valeur adaptative nulle sur pommier ne représentent pas une menace pour les vergers de pommiers.

Vers la découverte d’un nouveau moyen de lutte biologique contre les champignons ?

Sur la base de ces résultats inattendus, l’équipe a eu l’idée d’exploiter l’absence de pathogénicité des hybrides sur le pommier pour développer un nouveau moyen de lutte biologique. La stratégie consiste à perturber le cycle sexué de V. inaequalis au verger. Comme le champignon passe par une phase sexuée quasiment obligatoire chaque hiver, l’idée est de favoriser les croisements entre les 2 lignées en introduisant massivement la lignée pyracantha non pathogène dans les vergers à l’automne, au moment où s’initie la reproduction sexuée. Il est attendu que les descendants générés au verger au printemps soient non pathogènes sur le pommier. Cette stratégie de type autocide qui fait agir un organisme contre lui-même devrait permettre de réduire l'utilisation de produits chimiques en arboriculture.

Perspectives

Cette étude soulève des questions de recherche sur l’impact des évènements d’hybridation chez les champignons au niveau génétique, épigénétique et transcriptomique que les chercheurs vont explorer pour tenter d’expliquer l’asymétrie des phénotypes observés chez les hybrides inoculés sur les différents hôtes. Grâce à ces travaux sur le déterminisme génétique de la spécificité d’hôte, l’équipe développe un concept de lutte inédit chez les champignons qui présente de fortes analogies avec la lutte autocide utilisée contre les insectes. Les recherches se poursuivent via un projet ANR Maturation multidisciplinaire EcoPhyto, dont les objectifs sont de faire la preuve de concept au verger et d’évaluer son acceptabilité socioéconomique par la filière pommes, grâce à des enquêtes réalisées notamment auprès des producteurs, consommateurs et riverains.

FINANCEMENT : projet cofinancé par la région et le Fonds européen de développement régional dans le cadre du RFI Objectif végétal.

PUBLICATION ASSOCIÉE : Caffier V., Shiller J., Bellanger M. N. et al. (2022). Hybridizations between formae speciales of Venturia inaequalis pave the way for a new biocontrol strategy to manage fungal plant pathogens. Phytopathology, 112 (7), 1401-1405 https://doi.org/10.1094/phyto-05-21-0222-sc

Valorisation : Brevet biocontrôle WO2021/123698 déposé par INRAE.

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